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Comment dire adieu à un être cher alors que le monde entier est frappé par une crise sanitaire, que le défunt repose au Nigeria et que ses enfants sont bloqués en Angleterre et aux États-Unis ? Le père de Chimamanda Ngozi Adichie vient de mourir. Séparée de ses proches, cette dernière vit un deuil empêché et solitaire. Elle écrit alors sous la forme de courts chapitres, composés comme des soubresauts de chagrin et de rage, où l'amour et l'admiration qu'elle portait à son père explosent à chaque page.James Nwoye Adichie a traversé plusieurs époques de l'histoire du Nigeria. S'il a transmis la culture et la langue igbos à ses enfants, essentielles à l'oeuvre de l'autrice, il s'est aussi élevé contre certaines traditions de son pays. En partageant des anecdotes familiales simples et touchantes, Chimamanda Ngozi Adichie rend hommage au professeur émérite de l'université du Nigeria, mais surtout au père humble et aff ectueux qu'il était, son «dadounet originel».La perte se voit ainsi transcendée par l'amour et la transmission.
Drôle de période que cette pandémie de Covid. Avec ces enterrements sans famille autorisée à entrer dans le cimetière. L'auteur elle, doit vivre le décès de son père à distance, via application numérique (Zoom pour ne pas le citer). Ce qui ne lui facilitera pas de faire son deuil. Elle prend donc sa plume pour évoquer son chagrin, la manière dont il prend possession de son âme et de son corps (le corps souffre au sens propre du chagrin de l'être).
J'ai apprécie le très beau style plein de réserve qui lui permet de nous emmener dans ce bel hommage quelle fait également à son père à travers ses lignes.
Tout indique la profonde douleur qui a habité Chimamanda Ngozi Adichie pendant l’écriture de ce livre. La couverture, la dédicace, à son père bien entendu, la sincérité du texte et la forme que prend celui-ci. Il ne s’agit pas d’un roman, d’un essai ou d’un journal intime. C’est un recueil de notes, d’émotions puissantes, soudaines, inscrites sur le papier. Le temps est bouleversé, la chronologie est imperceptible. Le Covid a déréglé tout cela mais surtout le chagrin. L’autrice, par bribes, esquisse une définition de ce mot. Ce n’est pas une douleur, ni une tristesse, ni un drame. C’est du chagrin qui envahit le corps, le cœur et l’esprit de cette femme, cette fille qui a perdu son père, cette artiste qui se love dans les mots pour raconter le mot et le penser. Face au décès de son père, où se trouve le réconfort ? Chimamanda Ngozi Adichie parle des condoléances, de l’appel à la mémoire de l’être disparu, de la cohésion familiale. Elle questionne le rapport à la mort si bouleversé par le Covid et pointe une certaine prétention humaine face à la tragédie de la vie.
Tout en rendant hommage à son père et confirmant son amour sincère pour lui, elle parle aussi de la culture des rituels, de l’annonce d’un tel événement et des condoléances. Là existe une rupture, celle entre ce qu’aurait souhaité l’être perdu, portant sa propre idée du rituel et ce qui est nécessaire pour les vivants. Chimamanda Ngozi Adichie ne se retrouve pas dans les conventions igbos mais doit faire avec. Elle doit alors trouver son propre chemin, ses propres moyens pour faire le deuil et tout cela en baignant dans un profond chagrin.
Ce livre, court et délicat, recense les interrogations successives sous lesquelles croule cette femme. Elle les étale devant nous sans y apporter des réponses et refermer le débat. Ce livre est donc un moment suspendu, court par la forme (les chapitres, la taille du livre), mais profondément ancré dans la vie de l’autrice. En la lisant, je pensais à la phrase de Tchekhov dans Platonov : « Il faut enterrer les mots et réparer les vivants. » Pendant ces deux étapes, longues, intimes et terribles, le chagrin reste là, saisissant chaque parcelle de l’être. Il pèse, écrase et les quelques notes de Chimamanda Ngozi Adichie nous rappellent l’importance de parler, d’écrire et de trouver un moyen de libérer l’être, de se purger du chagrin.
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