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En 2017, Marie Cosnay est en résidence dans un jardin merveilleux sur les bords de l´Adour. Chaque mercredi, elle y retrouve des réfugiés en attente d´un toit ou d´un droit. Ensemble ils collectent, traduisent des mots et partagent les récits de l´exil. C´est alors qu´un enfant se présente et avec lui la question de la protection de l´enfance. Saâ vient de Guinée-Conakry. Il a travaillé dur pour payer le passeur, traversé plusieurs frontières et subi mille violences avant d´arriver en France, à Irun, où Marie Cosnay croise sa route. Il a seize ans et après l´épopée du voyage, c´est une nouvelle bataille qu´il doit livrer pour faire reconnaître sa minorité auprès de l´administration française et bénéficier d´une protection : un parcours faits d´incohérences, d´injonctions folles - être clair avec son histoire -, et d´espoirs déçus. Du conte au documentaire, Marie Cosnay fait surgir les images, nomme l´insupportable et porte les voix de ceux dont on refuse de considérer les vies.
« Nos corps pirogues » l’exil porte-voix.
Crucial, ce texte est un devoir de lecture. Le fronton qui assigne l’exactitude de la parole. Celle de Saâ, de ses frères et sœurs des dérives tumultueuses. L’enfance écartelée, écorchée vive, pirogue flottant sur les rives des diktats des migrations.
« Je vis à la frontière basque, entre l’Espagne et la France. »
Bayonne antre Babel, l’auberge espagnole, berceau bordé des délivrances des mineurs (es).
Saâ conte sa vie en Guinée-Conakry.
« Ta mère, comme la grande mémoire qui a mangé le reste. »
Marie Cosnay recueille l’alphabet d’une histoire de vie. Elle rassemble l’épars, doigt glissant sur la joue de cet adolescent qui fait trop vieux pour son âge. Les douleurs ont foudroyé son apparence.
« Tu as oublié et tu n’as pas oublié. Ce que tu n’as pas oublié croyant que tu l’as oublié... Je veux rester en France. »
Prouver à la société française ses seize printemps, bougies éteintes par un ubuesque administratif. Marie Cosnay dépeint le sceau de l’universalité. Chacun est autrui , la trame est le papier de survie, le mot de passe colombe.
« Ce que j’ai dit Saâ. Les vrais papiers. On les imprime. »
Saâ est un combattant. Dans un jardin-refuge où le voyage pose la valise subrepticement, les souvenirs fissurés. Sa mémoire est la seule armure. Prouver encore et encore .
« On dirait qu’il a vingt-cinq ans ton mineur… À Pau, pour la trente-sixième fois, Saâ est arrêté sur la ligne d’un projet… Mon histoire, père et mère, ce que vous pouvez comprendre. Mon âge sur le papier, la mairie de ma ville de naissance dont je ne reconnais ni la station Total sur les photos trouvées sur Google ni la mairie »
L’hommage aux migrants, épopée sur les identités sont des miroirs floutés. Les chaos d’un périple où le non retour est une muselière. Les interrogatoires pavloviens et insistants.
« Quel est le lien entre toi et ton récit ?
Quel est le lien entre toi et tes papiers ? Entre toi et tes dangers ? »
Lui recommence, change la formule, le droit de passage , la pirogue hospitalière sera peut-être immobile un jour certain. Persévérance !.
« Clair avec son histoire de maman morte quand on a neuf ans. Clair avec son histoire de petit garçon de conte cruel, dans les familles pauvres et polygames de Guinée-Conakry où on sacrifie les fils nés d’épouses mortes. »
Ce qui transperce les mémoires, la rémanence existentielle, l’enfant doit prouver à la face du monde l’heure de sa naissance. Les folies administratives et le rejet de l’humanité. Atteindre la rive de Marie Cosnay.
L’écriture est un honneur, le jardin planète, la rédemption, la preuve des murailles qui contrent une jeunesse qui ne demande qu’à éclore.
Les corps pirogues, « J’ai mal parlé, je ne suis pas mineur. Je parle bien, je suis mineur. Je réponds bien. Un mot, et je serai guéri. »
Plaidoyer dont les histoires ne sont pas anecdotiques. Mais celles de nos semblables, terribles et imprévisibles.
« J’ai sans doute mal répondu aux interrogatoires mais je vais tout reprendre et tu verras, je serai un enfant. »
Émouvant, « Nos corps pirogues » est un texte à serrer fort dans nos bras. Publié par les majeures éditions L’Ire des Marges.
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