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Dans chaque récit qui nourrit ce roman choral, s'entrechoquent, avec humour et dérision, des petites destinées et des grandes déconvenues : lignes de vies qui s'entrecroisent d'un chapitre à l'autre, engendrent des rencontres improbables, des occurrences impromptues et des destins incertains, suscitent des envies de sexe et de meurtre. Et attirent des convoitises d'argent rapide.. Des mensonges anodins et des grandioses impostures.
Des accès de cupidité et des personnalités doubles. Des vies ratées et des espérances déçues. Pendant qu'autour d'eux se vide le canal Saint-Martin pour son nettoyage décennal. Il découvre les débris, les rebuts et les objets obsolètes enfouis dans la fange et la boue. Et met au grand jour tout ce qu'on aurait tant souhaité dissimuler...
Manichéen, entre rires et grincements de dents, pétillant ou acide, « Nom de noms » est avant tout jubilatoire et de haute voltige. Ce roman est hors norme de par sa construction. Des poupées gigognes qui s’emboîtent d’une histoire à l’autre, des nouvelles qui se touchent du bout des doigts. La subtilité éveille et attise notre curiosité et le frénétique désir de suivre le fil rouge de Gilles Verdet. Rien, le premier des protagonistes est la majuscule de ce récit. Un anti-héros digne de celui de Bove dans « mes amis ». Rien est donc l’emblème du néant, de cette transparence aux abois. Doutes et fragilités, échecs en puissance.
« Celui, c’était sûr qui, depuis ma naissance m’entraînait vers le vide absolu. »
Rien veut changer d’identité. Juste une lettre dans son nom, mais laquelle ?
Ce sera donc la première lettre, et voilà notre homme qui pense se métamorphoser. Certes, mais les déboires vont s’avérer nombreux, et les chaises bien rangées dans sa vie vont basculer frénétiquement.
« Là où la malédiction séculaire des noms à coucher dehors se confond avec la faveur des bien nés à pieuter au chaud. Où les appelés, les appelants, les innommables et les sans noms cohabiteront toujours le dos chargé du fardeau de leurs ancêtres. Et de tous les ascendants insoucieux de l’atavisme nominatif. Pas moi. Moi j’étais autre. »
Bien, vous avez dit « Bien ». Cette nouvelle est une satire. Sombre et caustique, l’humour grince, l’apothéose d’une écriture surdouée qui décroche les étoiles. Nous sommes dans le summum de la lucidité littéraire, le pragmatisme et le piédestal grammatical. Les fragments sont une contemporanéité absolue, révélée, et les acteurs en avant, pions sur un jeu de dames. Gilles Verdet est malicieux, appliqué, il est au cœur des lignes à chaque instant, prise à partie dans une trame dont on croirait une pièce de théâtre à ciel ouvert. « Nom de noms » est de plusieurs degrés de lecture. Entre les morceaux d’architecture, il y a cette intuition dévorante. La capacité à exaucer nos actes manqués d’avant. Cette volonté de briser les carcans. Les jeux de mots sont des lanceurs d’alerte, dans un style phénoménal qui remet d’équerre l’ubuesque. « Nom de noms » est le parchemin des troubles de l’humain.
« Et les mystères des autres, des évidences à vivre, quoi qu’il arrive. Les siens tombaient là un à un, faciles, comme un arbre qu’on aurait trop secoué. »
Tour s’exauce dans la force intrinsèque de ce texte implacable. L’humour est le garde-fou et la finesse qui excelle est magnifique.
« Il avait le tourment lyrique et la tristesse littéraire. »
Ce kaléidoscope : « De la science des noms propres et de leur déterminisme » est une bouffée d’oxygène. Un sujet qui nous touche tous, un jour certain.
« Que, tout est écrit pour nous dès la naissance. »
Cette fable rugueuse parfois riante fait la part belle néanmoins à Diogène, aux Cyniques. Saut dans la flaque d’un conformisme, le conventionnel poussé du pied. Libre, vous avez libre… Gilles Verdet est digne d’un génie évident. « Nom de noms » est un plaisir de lecture. En ces temps floutés par La Covid il est une couverture remontée jusqu’au cou. L’antidote, du baume au cœur. Publié par les majeures Éditions L’Arbre Vengeur.
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