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Attention, chef(s)-d'oeuvre !
Tout allait bien, semblait-il. Les jours, les semaines, les mois passaient, plus rapidement que dans l'enfance, mais sans qu'elle ressentît la moindre nervosité. Parfois, cependant, au coeur de la nuit, tandis qu'ils dormaient enlacés comme pour se rassurer l'un l'autre dans l'attente de l'aube, puis d'un autre jour, puis d'une autre nuit qui peut-être leur donnerait l'immortalité, Mrs. Bridge s'éveillait. Alors elle contemplait le plafond, ou le visage de son mari auquel le sommeil enlevait de sa force, et son expression se faisait inquiète, comme si elle prévoyait, pressentait quelque chose des grandes années à venir.
Mrs. Bridge et son pendant, Mr. Bridge, forment une oeuvre en diptyque fondatrice de la littérature américaine d'après-guerre, adulée par des générations entières de romanciers. Portée par une écriture d'une précision redoutable, un ton à l'élégance distanciée et une construction virtuose, une redécouverte à la hauteur de celle d'un Richard Yates avec La Fenêtre panoramique ou d'un John Williams avec Stoner.
Mrs Bridge et son pendant, Mr Bridge étaient non pas dans ma pal mais dans le top de ma « to read list ». J’ai commencé par Mrs Bridge, « desperate housewife » délaissée par son mari et dépassé par ses enfants qui basculent dans la société moderne. Le style plat et descriptif de l’auteur est d’autant plus cinglant. C’est qu’on n’arrive pas à plaindre cette pauvre femme corsetée dans son éducation, son milieu, son époque. D’ailleurs, elle ne semble pas particulièrement s’en plaindre. Une pépite, un gros coup de cœur. Hâte de lire le portrait de Mr Bridge qu’on soupçonne de ne pas être si lisse que ça.
Un livre au verbe simple mais néanmoins porteur de réflexions sur la condition féminine dans les années 1940 aux Etats-Unis.
Est-ce ceci le miracle américain ou plutôt le mirage, pour ces familles. Nous avons ici une femme Madame BRIDGE, qui incarne la femme "modèle", Mais une femme [incapable de réfléchir, dénuée d'imagination et que tout sidère].
Est-ce ceci le paradigme de la femme? Et je pense que l'on peut extrapoler cette vie avec sa suite de chocs psychologiques à toutes les femmes de ce monde.
Un "pantin" avec des sentiments réprimés, une absence d'ambition, la peur de décevoir, bref, pour tout dire, un femme malheureuse!
Où l'on aperçoit seulement, maintenant, leur révolte afin de faire "exploser" ce carcan des conventions, du diktat des normes sociales...édictées par l'homme!
Agréable à lire, et à mettre sur la table de chevet des hommes...
La réédition de ce Mrs Bridge (et de son pendant Mr Bridge, qui forment un diptyque) est une excellente idée permettant de redécouvrir ce roman paru en 1959 et très apprécié aux Etats-Unis. Evan S. Connell a inventé le concept de Desesperate Housewife bien avant l'heure et c'est avec une belle acuité et un brin d'ironie qu'il restitue le quotidien d'une femme au foyer de l'entre-deux guerres à Kansas City qui est d'ailleurs sa ville natale. La plume est précise et légère, le regard non dénué d'une certaine cruauté. La finesse de l'ensemble offre une lecture distrayante au cours de laquelle on garde en permanence une sorte de petit sourire en coin.
"Mrs Bridge passait de longs moments à regarder dans le vide, oppressée par un sentiment d'attente. Attente de quoi ? Elle ne savait. Quelqu'un allait venir, quelqu'un avait sûrement besoin d'elle. Mais chaque jour passait comme celui qui l'avait précédé. Rien d'intense, rien de désespéré n'arrivait jamais. Le temps ne passait pas."
En 117 courts chapitres, Mrs Bridge passe du statut de jeune mariée à celui de jeune veuve sans se départir de cette chape d'ennui et de solitude qui l'enveloppe. Malgré des conditions de vie très confortables, trois enfants en pleine santé et un mari qui ne semble pas exiger grand-chose d'elle. Mrs Bridge tente d'inculquer à ses enfants les principes d'éducation qui lui ont été transmis par une longue lignée de gens "comme il faut" et surtout, elle s'attache à trouver de quoi occuper ses longues journées. On comprend vite que Mr Bridge passe son temps à son cabinet d'avocat et les deux se côtoient sans vraiment se parler. Mrs Bridge s'en remet pourtant à son mari pour tout, incapable de s'engager par elle-même dans une quelconque activité. Cette femme oisive est la reine de la procrastination, trouvant toujours de bonnes excuses pour ne pas se lancer dans un projet qui semblait pourtant lui tenir à cœur. Les dialogues avec ses enfants devenus adolescents sont savoureux de décalage. Tout comme ceux qui traduisent entre son mari et elle un terrible éloignement de pensée. Enfin, on suit avec un amusement un peu cruel les péripéties de Mrs Bridge dans son environnement social entre cocktails de voisinage qui donnent lieu à compte-rendu dans la gazette locale, concerts auxquels elle ne comprend pas grand-chose, superficialité des conversations ou encore expositions qui l'amènent à penser qu'elle devrait approfondir ses connaissances dans certains domaines (sans jamais le faire, bien sûr). Un personnage enfermé dans le carcan des apparences et des bonnes manières d'une certaine société et qui finit par en devenir touchant de tant de vacuité.
Voilà comment une vie passe sans que l'on s'en rende compte. En remettant sans cesse à demain, en oubliant d'exister par soi-même et de s'ouvrir au monde. Terrifiant passage où Ms Bridge repense au passage d'un livre qu'elle avait commencé à lire : "certaines personnes, faisait remarquer l'auteur, passent en effleurant les années de leur existence et s'en vont s'enfoncer doucement dans une tombe paisible, ignorants de la vie jusqu'à la fin, sans avoir jamais su voir tout ce qu'elle peut offrir. Ce passage elle l'avait relu, médité (...) Mrs Bridge se souvenait très bien (...) qu'elle avait laissé le livre sur la cheminée avec l'intention d'en lire davantage. Elle se demandait à présent ce qui l'en avait empêchée, où elle était allée, pourquoi elle n'était jamais revenue."
Pauvre Mrs Bridge ! Je suis bien curieuse de lire Mr Bridge et de découvrir l'histoire du point de vue du mari qui dans ce roman n'est qu'une figure patriarcale assez taiseuse et indifférente au quotidien de sa femme.
Une lecture distrayante mais intelligente, comme je les aime.
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