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Mensuel n 408 janvier 2021

Couverture du livre « Mensuel n 408 janvier 2021 » de  aux éditions Alternatives Economiques
Résumé:

Le bas de laine des Français a gonflé durant les confinements. Si elle est consommée, cette épargne pourrait doper l'économie. Mais pour cela, les ménages doivent avoir confiance en l'avenir.

Vacances annulées, restaurants et cinémas fermés, gros achats reportés... Au cours des six premiers... Voir plus

Le bas de laine des Français a gonflé durant les confinements. Si elle est consommée, cette épargne pourrait doper l'économie. Mais pour cela, les ménages doivent avoir confiance en l'avenir.

Vacances annulées, restaurants et cinémas fermés, gros achats reportés... Au cours des six premiers mois de l'année 2020, les Français ont mis de côté 62 milliards d'euros de plus qu'au cours d'une année « normale », estime l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Le flux total d'épargne accumulée au premier semestre s'est donc établi à un peu plus de 170 milliards d'euros, calcule l'Insee. Selon les dernières prévisions de l'OFCE, qui dressent une photo de la situation économique au 9 décembre, l'« épargne Covid » devrait augmenter encore de 27 milliards au second semestre, avec sans surprise une hausse plus importante liée au second confinement en fin d'année, pour atteindre au total 89 milliards d'euros sur l'ensemble de l'année 2020.

Ce pactole suscite bien des convoitises. D'une part, du gouvernement, qui y voit un outil pour relancer l'économie française à moindres frais et, d'autre part, des entreprises, qui aimeraient que les ménages le débloquent pour consommer leurs produits ou services. Il est vrai qu'une baisse durable de la consommation risque d'enclencher une spirale négative : si les ménages consomment moins, les entreprises risquent de subir une perte d'activité, et donc de licencier, entraînant une baisse des revenus des ménages, donc de nouveau une moindre consommation, et ainsi de suite. Faut-il alors forcer les Français à consommer leur épargne pour éviter le naufrage de l'économie ? Pas si simple.

Pour les coups durs.

L'épargne Covid est principalement allée se loger sur les comptes courants des ménages et leurs livrets d'épargne réglementée. La Caisse des dépôts et consignations, qui collecte une partie des fonds du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS), a reçu des flux nets mensuels de 3,8 milliards en moyenne entre mars et septembre 2020, contre 1,7 milliard sur la même période en 2019. Côté comptes courants, les Français y ont déposé 9 milliards d'euros par mois depuis le premier confinement, contre 3,2 milliards en moyenne entre janvier 2017 et février 2020, selon la Banque de France. L'institution note à l'inverse une réduction de la collecte de l'assurance-vie. L'épargne investie dans l'immobilier (l'épargne « non financière » des ménages) a également chuté : 58 milliards d'euros au premier semestre 2020, contre 71 milliards en 2019. L'épargne Covid n'a donc pas le même profil que l'épargne traditionnelle : faute de transactions, sa composante immobilière a sans surprise diminué, passant de grosso modo deux tiers à la moitié de l'épargne totale. Dans sa composante financière, l'épargne a délaissé le placement préféré des Français, l'assurance-vie, au bénéfice de supports permettant de retirer plus facilement son argent.

D'abord forcée par la fermeture de commerces pendant le confinement, cette épargne tend en effet à devenir une épargne de « précaution » alimentée par la crainte perçue par les ménages d'une perte de revenus ou d'emploi. D'où l'évolution observée des modalités d'épargne. Sans aller jusqu'à considérer, comme Bruno Le Maire, que « la meilleure façon [pour les Français, NDLR] de se protéger, c'est de consommer dans l'économie française », nombre d'économistes admettent qu'il serait préférable qu'au moins une partie de cette épargne se mue en consommation.

Choisir les bonnes politiques à déployer pour ce faire nécessite de garder en tête qu'au-delà des données agrégées, ce sont surtout les riches qui ont épargné ces derniers mois. « Près de 70 % du surcroît de l'épargne ont été faits par les 20 % des ménages les plus riches », résume le Conseil d'analyse économique 1. L'organisme qui conseille le Premier ministre ajoute que les ménages appartenant aux deux déciles les plus pauvres de la population ont même désépargné : ils ont dû puiser dans leurs bas de laine pour affronter la crise. Avec un taux de dépenses préengagées (assurance, cantine scolaire, etc.) qui dépasse les 30 % (contre 19 % pour les 20 % les plus riches) et un taux d'épargne qui a oscillé ces dernières années autour de 0 %, leur consommation est en effet très peu arbitrable. Les plus riches, à l'inverse, ont un taux d'épargne de l'ordre de 30 % et dépensent habituellement une part plus importante de leurs revenus dans les secteurs contraints cette année par la pandémie (loisirs, hôtellerie et restauration, etc.).

Il est possible, et nécessaire, d'augmenter la consommation des ménages précaires, mais la solution passera davantage par des mesures de soutien à leur pouvoir d'achat que par des incitations à dépenser un argent dont ils ne disposent pas. En clair, les ménages les plus fragiles pourront contribuer à la hausse de la consommation si on leur en donne les moyens, mais cela n'induira pas un dégonflement de la bulle d'épargne liée au Covid.

Restaurer la confiance.

Concentrons-nous donc sur le reste de la distribution. « Il existe peu d'exemples de périodes dans l'histoire où l'Etat a cherché à faire diminuer l'épargne, à part lors de la Grande Dépression des années 1930 », analyse l'économiste Eric Monnet. Pour le chercheur, c'est alors le New Deal qui a eu, de manière indirecte en instaurant des programmes de créations d'emplois et une assurance sociale aux Etats-Unis, l'effet le plus notable sur la diminution du stock d'épargne. « Soit on pense, dans un monde libéral, que l'épargne finira par se dépenser d'elle-même. Soit on met en place des politiques volontaristes pour diminuer les risques de chômage et de faillite afin de rassurer la population sur l'avenir », poursuit-il.C'est-à-dire des politiques visant à restaurer la confiance des ménages, qui a atteint en novembre son plus bas niveau depuis deux ans. Prolonger aussi longtemps que possible les dispositifs de chômage partiel, lancer une politique d'emplois publics, assurer par la commande publique des débouchés aux entreprises dans le cadre de la transition énergétique : voici autant de solutions qui seraient à ce titre pertinentes pour métamorphoser l'épargne en consommation.

Si la classe moyenne a réussi à épargner pendant la crise, le gros du stock accumulé se concentre toutefois chez les très riches, dont les comportements ne sont a priori pas dictés par une crainte du chômage. Il faudrait donc aller un cran plus loin les concernant. « On peut imaginer soit une taxe sur des produits d'épargne spécifiques comme l'assurance-vie ou d'autres supports plébiscités par les plus riches, soit quelque chose de plus large sur le stock d'épargne via une réforme de la fiscalité du capital », envisage Eric Monnet. Dans un sens contraire, donc, à la réforme engagée par Emmanuel Macron en début de quinquennat, puisque l'instauration en 2018 d'un prélèvement forfaitaire unique de 30 % a réduit l'imposition du capital. L'Etat pourrait ensuite, dans l'idéal, employer les montants ainsi prélevés dans un sens favorable à la transition environnementale.

En effet, lorsqu'on s'intéresse aux moyens de relancer la consommation, revient souvent, à juste titre, une critique adressée aux politiques keynésiennes (voir encadré) de relance par la demande, à savoir : comment encourager la consommation sans compromettre notre marche vers une économie plus verte et plus sobre ? Pour ce faire, certains ont évoqué l'idée d'un « chèque vert » alloué aux plus modestes qui ne pourrait être dépensé que dans certains produits 2. Mais ce type de dispositif permet de flécher un revenu supplémentaire accordé par l'Etat (par l'intermédiaire donc de ce chèque vert) et non pas, comme on le voudrait, les sommes épargnées par les ménages, dont la dépense relève in fine de leur seule volonté. Autrement dit, tant que les épargnants actuels ne seront pas rassurés sur leur avenir, ils ne consommeront pas davantage.

Lorsqu'ils seront rassurés à un terme qu'il est aujourd'hui impossible de prévoir, il faudra, pour que le surplus de consommation des ménages n'entre pas en contradiction avec nos objectifs climatiques, que les clients trouvent sur le marché suffisamment de produits éco-vertueux. Cela suppose d'agir sur la structure même de notre appareil productif, ce qui est illusoire à court terme. L'épargne consommée dans les prochains mois ne deviendra donc pas verte comme par magie, tant la dépendance à nos modes de production actuels est forte, mais elle tendra à le devenir plus ou moins selon les moyens financiers et réglementaires que l'Etat se donnera pour encourager la conversion à l'agriculture biologique, lutter contre l'obsolescence programmée, aider les ménages à rénover leurs logements, etc.

En résumé, la bulle d'épargne Covid peut être en partie dégonflée et réintroduite dans le circuit économique, si tant est que soient mises en place des réponses adaptées à la situation de chaque catégorie de ménages. Pour la part qui restera malgré tout sur les comptes, la solution est plus à chercher du côté des acteurs financiers qui assurent la collecte de l'épargne (voir page 28) que dans les comportements des ménages.
Un avantage ou un inconvénient pour l'économie ?

L'épargne, c'est bon ou mauvais pour l'économie ? Pour les néoclassiques, les dizaines de milliards d'euros épargnés depuis le début de la crise sanitaire constituent une offre de fonds supplémentaire disponible pour financer de l'investissement et représentent donc, à ce titre, une excellente nouvelle.

Pour John Maynard Keynes en revanche, qui prend en compte les ressorts psychologiques de l'épargne, c'est plus compliqué. L'économiste britannique explique que les ménages reçoivent un revenu qu'ils partagent ensuite entre consommation et épargne selon leur propension à consommer. Laquelle est plus élevée pour les catégories les moins riches de la population, d'autant qu'une grande part de leurs dépenses sont contraintes (alimentation, loyer, etc.). Lorsque les commerces sont fermés, la consommation des ménages est contrainte, ils épargnent donc de manière forcée. Que peuvent-ils faire de cette épargne ? La conserver sous forme de monnaie (c'est ce qu'on appelle la thésaurisation) ou la placer sur des produits d'épargne financière pour financer l'investissement.

Trois raisons poussent les ménages à garder leur épargne sous forme de monnaie : pour régler leurs échanges courants (motif de transaction), ce qui ne semble pas utile lors d'un confinement ; pour régler des dépenses à venir ou faire face à des imprévus (motif de précaution), a priori plus pertinent en période de Covid en raison des inquiétudes pesant sur l'emploi. Et, enfin, pour faire des paris financiers (motif de spéculation). En résumé, pour les néoclassiques, plus d'épargne aujourd'hui signifie plus de consommation demain. Tandis que pour Keynes, l'épargne est une perte de consommation qui diminue la demande adressée aux entreprises, donc l'investissement, et instaure un cercle vicieux pour l'économie.

Un avantage ou un inconvénient pour l'économie ?

L'épargne, c'est bon ou mauvais pour l'économie ? Pour les néoclassiques, les dizaines de milliards d'euros épargnés depuis le début de la crise sanitaire constituent une offre de fonds supplémentaire disponible pour financer de l'investissement et représentent donc, à ce titre, une excellente nouvelle.

Pour John Maynard Keynes en revanche, qui prend en compte les ressorts psychologiques de l'épargne, c'est plus compliqué. L'économiste britannique explique que les ménages reçoivent un revenu qu'ils partagent ensuite entre consommation et épargne selon leur propension à consommer. Laquelle est plus élevée pour les catégories les moins riches de la population, d'autant qu'une grande part de leurs dépenses sont contraintes (alimentation, loyer, etc.). Lorsque les commerces sont fermés, la consommation des ménages est contrainte, ils épargnent donc de manière forcée. Que peuvent-ils faire de cette épargne ? La conserver sous forme de monnaie (c'est ce qu'on appelle la thésaurisation) ou la placer sur des produits d'épargne financière pour financer l'investissement.

Trois raisons poussent les ménages à garder leur épargne sous forme de monnaie : pour régler leurs échanges courants (motif de transaction), ce qui ne semble pas utile lors d'un confinement ; pour régler des dépenses à venir ou faire face à des imprévus (motif de précaution), a priori plus pertinent en période de Covid en raison des inquiétudes pesant sur l'emploi. Et, enfin, pour faire des paris financiers (motif de spéculation). En résumé, pour les néoclassiques, plus d'épargne aujourd'hui signifie plus de consommation demain. Tandis que pour Keynes, l'épargne est une perte de consommation qui diminue la demande adressée aux entreprises, donc l'investissement, et instaure un cercle vicieux pour l'économie.

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