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Par un matin d'octobre 1917, en pleine Première Guerre Mondiale, Mata Hari, convaincue d'intelligence avec l'Allemagne, est condamnée à mort par l'armée française. Celle qui ensorcela le Tout-Paris de la Belle-Époque grâce à son célèbre numéro d'effeuillage sur des danses orientales était-elle réellement coupable ? Mata Hari a-t-elle vraiment été un agent double ou a-t-elle servie de bouc-émissaire aux services secrets français ?
Franchement quelle découverte !!!
Une bioographie romancée de Margaretha Geertruida Zelle, demi mondaine de son époque, accusée d'espionnage durant la première guerre mondiale et exécutée à Vincennes en 1917.
On découvre ce personnage, les grandes étapes de sa vie, ses amours et ses déceptions.
Les dessins sont envoûtants, splendides, le texte est concis. J'ai adoré.
Après un album consacré à Victor Hugo en 2013, Laurent Paturaud et son épouse Esther Gil s’intéressent à un personnage tout aussi mythique : Mata Hari. Cette femme de la belle époque continue à fasciner plus de cent ans après son exécution. Depuis 1920, elle a été incarnée à l’écran par les plus belles actrices (Greta Garbo, Jeanne Moreau et Sylvia Krystel entre autres) et au moins un livre par an lui est consacré. D’ailleurs en ce mois d’octobre paraît également un autre album qui en fait son héroïne: « Rendez-vous avec X : Mata Hari » de Virginie Greiner et Olivier Roman. Pourquoi un tel engouement pour ce personnage ? Parce qu’il s’agit d’une femme mystérieuse à l’identité trouble, d’une danseuse ensorceleuse et d’une femme vénale avec une âme d’intrigante comme en témoigne son nom de scène devenu nom commun dans l’expression : « c’est une véritable Mata Hari » pour désigner une femme fatale capable de toutes les traîtrises…
Une grande majorité des œuvres qui lui sont consacrées débutent par la présentation de la femme « fétiche » au faîte de sa gloire posée en figure érotique et en objet de désir. Laurent Paturaud et Esther Gil innovent : ancrant son destin dans le contexte historique, ils en font une victime expiatoire qui sert d’exemple pour contrer les mutineries qui se multiplient après la défaite du chemin des dames. Ils commencent, eux, par sa fin pour donner d’emblée une dimension tragique à l’héroïne et ils choisissent également de consacrer près de la moitié de leur biographie dessinée non pas au personnage public mais à la femme qu’elle fut avant de le devenir.
C’est là une des grandes forces de l’album : d’abord il met en scène tout un pan de la vie de Mata Hari qui est souvent laissé de côté (son expatriation avec son mari officier aux Indes orientales) et, ce faisant, il la présente en tant que mère aimante et femme battue et l’humanisent. Les auteurs montrent la personne derrière le masque et soulignent qu’elle fut, avant tout, victime des hommes et des circonstances. D’ailleurs, ils lui donnent la parole : la narration alterne entre le récit à la première personne dans les récitatifs et des pages classiquement dialoguées. On entend donc la voix de Margareth et l’on comprend à la dernière page que tout l’album n’est qu’une lettre adressée à son dernier amant. Gil et Paturaud évoquent vingt années de la vie de la danseuse et décident de la resserrer sur trois périodes et trois figures masculines : son mari Rudolf et ses jeunes années en garnison dans les Indes orientales ; l’officier allemand Alfred Kiepert lors de sa période de gloire dans le Paris de la belle-époque ; et son dernier amour Vadim Massloff, un russe qui servait dans l’armée française pendant la Première guerre mondiale. D’aucuns diront qu’ils aseptisent ainsi cette courtisane en limitant considérablement le nombre de ses amants mais cela permet d’une part une plus grande lisibilité et elle apparaît ainsi d’autre part comme une grande amoureuse malheureuse et non plus comme la mante religieuse qu’on se plaît à portraiturer.
Cette lisibilité est accentuée par le traitement graphique. D’abord parce que chacune des périodes est caractérisée par une palette chromatique bien définie : Les Indes sont dépeintes en couleurs vives ; le Paris du succès est dans les tons rouge et or et enfin la période de la guerre et de la mort est peinte en gris et bleus. Ensuite parce que pour résumer certaines périodes, Paturaud n’hésite pas à mettre en scène des pleines pages ou des double pages qui condensent plusieurs années et plusieurs époques : les tournées triomphales de Mata Hari à travers le monde sont ainsi évoquées par un « collage » de reproductions de différentes affiches et programmes tandis que ses voyages avec son riche amant sont évoqués par une succession de plans sans gaufrier qui montre le couple devant des monuments célèbres. On ne perd pas de temps en détails inutiles (tels les voyages de l’espionne entre la France la Hollande, l’Espagne ou l’Angleterre) et paradoxalement l’œuvre est minutieusement documentée ! Les auteurs ont ainsi reconstitué d’après documents le musée Guimet tel qu’il existait au début du XXe siècle, prêté attention aux décors, toilettes et costumes et bien recrée aussi l’atmosphère de Berlin ou du Paris de la Grande Guerre On remarquera d’ailleurs que les arrière plans sont toujours très détaillés et rehaussés au feutre fin ce qui donne de la profondeur par rapport au premier plan souvent réalisé au pinceau.
On échappe cependant à un aspect trop lisse grâce à un éclatement des cases : le côté passionné de Mata Hari est donné à voir pour la première fois dans sa découverte de la danse à Java par le mouvement, les incrustations, la déconstruction de la page. La beauté de la danse est à nouveau exprimée dans la superbe pleine page de la représentation au musée Guimet qui présente un montage parallèle et qui grâce au mouvement des voiles et à l’harmonie des courbes crée beaucoup de sensualité et de volupté tout en magnifiant l’héroïne dans une légère contre plongée comme le fait également la surimpression des plans à la Scala. Dans ces pages de la période de gloire, le dessinateur donne à son personnage une dimension quasiment mythologique et laisse percevoir au lecteur tout le charisme de cette femme et les passions qu’elle put déchaîner. De même, en laissant hors champ l’exécution de Mata Hari, Gil et Paturaud laissent dans la tête du lecteur l’image d’une femme forte, rebelle, assumant jusqu’au bout qui elle est.
Cette glorification se retrouve aussi dans l’hommage à Mucha de la couverture. Le peintre viennois n’avait jamais portraituré la danseuse même s’il a immortalisé d’autres gloires du temps (comme Sarah Bernarhdt). Paturaud réalise un superbe « à la manière de » qui tout en renvoyant d’emblée au cadre Belle-époque met en évidence la beauté, la grâce et la sensualité de l’héroïne (à travers la forme évocatrice du lys) mais il ajoute une dimension supplémentaire en lui donnant un air profondément mélancolique. Ceci résume bien la vision du duo : une femme magnifique et fragile à la fois, qui a voulu vivre sa vie comme elle l’entend mais s’est laissé piéger par amour ainsi que le laissent entendre ses dernières paroles : « Finalement quel crime ai-je commis si ce n’est d’avoir trop aimé ? ».
Ce livre extrêmement documenté (et doublé d’un magnifique cahier graphique et d’explications sur le contexte historique comme souvent chez Maghen) dresse donc un superbe portrait de femme tant dans le scénario que dans les somptueux dessins. Une pièce de choix à verser au dossier de réhabilitation de la danseuse mythique !
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