"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Dans le grand appartement où elle vit confinée au service de Madame, une femme raconte. Avec une haine teintée de jubilation, elle décrit son servage, les recettes de cuisine inventées pour complaire à sa patronne irascible. Elle raconte Madame, cette vieille femme qui joue du piano, se rêve en Danielle Darrieux, et tyrannise son employée.
La cuisinière note tout. Elle consigne, jour après jour, tout ce quotidien qui l'étouffe. Les jours se traînent tandis que Madame sombre dans la démence. Et les identités s'échangent jusqu'au vertige. C'est comme si la mémoire qui peu à peu se retire de la vie de l'une venait éclaircir les nombreuses questions de l'autre. Qui est Madame, vieille femme juive rescapée de l'extermination ? Et si la cuisinière était sa fille ? À moins que toutes deux ne soient qu'une seule et même personne. Et qui était Monsieur, dont le bureau est interdit d'accès ? Un jour, la cuisinière découvre la photo d'un enfant, le petit Ilia, mort pendant la Shoah, et cette image énigmatique l'obsède, aimante sa vie tout entière.
La Shoah, jamais nommée, est le centre obscur autour duquel tout gravite, aussi bien la folie des personnages que le désastre qui s'abat progressivement sur eux. Mais Madame est aussi la chronique d'une émancipation, et celle-ci passe par le langage, par les joies ineffables et amères qu'il procure.
Gisèle Berkman nous donne ici un premier roman vertigineux. Le style, la maîtrise de l'écriture et de l'émotion, la gravité du sujet changée en grâce, tout cela fait de Madame un grand texte.
Curieux couple que celui formé par la narratrice et Madame, toutes les deux âgées et animées de la même dynamique attraction-répulsion, mais néanmoins indissociables.
Celle qui raconte a la tête en friche, l’âge, le traitement qui lui a été imposé depuis longtemps et dont elle tente de s’affranchir, créent dans son discours des failles et des automatismes qui rythment le récit mais retracent malgré tout peu à peu ce qui fut leur histoire.
C’est aussi un lent naufrage, le tableau d’une fin de règne, d’une déchéance générale. Et pourtant celle que Madame désigne d’un prénom que l’on ne connaitra pas, n’abandonne pas son poste, syndrome de Stockholm ou insuffisance de jugement. Les deux femmes contre le reste du monde, avec la paranoïa induite par le raisonnement altéré.
Il y a une sorte de magie dans ce récit, qui fait que malgré le style particulier, les redites voulues, qui reviennent comme des mantras, les incertitudes sur la fiabilité des faits énoncés, on reste accroché, et même résigné à ne pas tout comprendre.
Derrière les confidences qui reflètent la banalité des anecdotes du quotidien, le spectre de la seconde guerre mondiale et des trahisons.
C’est aussi le roman du temps qui passe, inexorable, sans pitié, balayant tout sur son passage, seule justice partagée.
Lu dans le cadre des "Explorateurs de la rentrée littéraire 2021"
La narratrice est employée de maison chez Madame, une Juive de l'Est plutôt tyrannique. Elle sait peu de choses d'elle, ne connaissant de son passé que les bribes que cette femme a bien voulu lui révéler, notamment qu'elle a échappé à la déportation cachée dans un placard. Mais ce n’est peut-être que le fruit de son imagination, car, même si elle ne semble pas franchement l'aimer, elle ne peut s'empêcher de fantasmer sur sa patronne, lui inventant une vie intense et mystérieuse à partir de quelques photos. Elle évoque sans concessions les relations de convenance de Madame, pour qui le paraître importe plus que les réelles amitiés, mais lui reconnaît un certain talent de pianiste. Elle aime l'écouter jouer son Bach matinal ou un Brahms, cherchant cependant à détecter dans son jeu les petites erreurs, les hésitations, comme autant de détails annonciateurs d'arthrose ou même d'un début de démence sénile. Elle-même aimerait bien jouer sur l'instrument – un Érard du dix-neuvième siècle –, un début de fugue lui revenant en mémoire, ou plutôt dans les phalanges, comme un souvenir flou venu d'un temps qui lui échappe.
Imitant une femme de ménage peu scrupuleuse qui n'hésite pas à fouiller dans les affaires de Madame, plus spécialement dans le bureau interdit de Monsieur – qui fut, d'après le contenu de sa bibliothèque, dermatologue, juriste ou philologue –, elle trouve d'autres clichés qui alimentent encore plus son imaginaire, et la persuade qu'un secret bien gardé par Madame concernant sa famille est à découvrir.
Mais l'histoire s'enferre inexorablement dans l'évocation de la relation quelque peu toxique qu'entretiennent deux personnes qui semblent n'avoir d'autre choix que de vivre ensemble.
On assiste à la lente dégradation de la santé de Madame, tout en se demandant, au vu de certaines répétitions dans la mise en forme de ses souvenirs, ce qu'il en est de celle de la narratrice, qui prend néanmoins le pouvoir sur leur vie de plus en plus confinée.
Je reconnais être resté assez étranger à cette histoire – sorte de huis clos peuplé de fantômes sur lequel semble planer l'ombre de la Shoah –, qui n'a malheureusement pas réussi à vraiment m'émouvoir. J'ai certainement un peu trop attendu que des événements surprenants viennent pimenter un récit qui est resté pour moi au final assez banal. Mais peut-être suis-je passé à côté de l'essentiel concernant les deux personnages de ce roman. Des zones d'ombre et quelques détails perturbants peuvent laisser le doute s'immiscer dans l'esprit du lecteur : identités et mémoires sont-elles réellement ce qu'elles paraissent ?
Avis à la page 100
La narratrice est employée de maison chez Madame. Elle sait peu de choses d'elle, ne connaissant de son passé que les bribes que cette dame a bien voulu lui révéler, et notamment qu'elle a échappé à la déportation cachée dans un placard. Mais ce n’est peut-être que le fruit de son imagination, car, même si elle ne semble pas franchement l'aimer, elle ne peut s'empêcher de fantasmer sur sa patronne, lui inventant une vie secrète à partir de quelques photos. Elle évoque sans concessions les relations de convenance de Madame, pour qui le paraître importe plus que les réelles amitiés, mais lui reconnaît un certain talent de pianiste. J'espère que la suite réserve quelques surprises pour pimenter un récit qui reste pour l'instant peu enthousiasmant.
Le début de ce roman m'a énormément intriguée, poussée par la curiosité de savoir ce qu'il se cachait derrière les trous de mémoire de la narratrice, derrière cette animosité brute qu'elle dévoile.
La narratrice, dont nous ne connaîtrons pas le nom, ni le surnom "infamant" que lui donne sa patronne, est au service de "Madame" (elle a interdiction de dévoiler son nom). Elle lui voue une haine féroce mais demeure cependant auprès d'elle, d'une loyauté sans faille.
Elle vit chez Madame, se raconte au travers de Madame, vole ses photos et se passionne pour les scènes entrevues. Elle imagine la vie passée de Madame, ses Châteaux en Espagne comme elle les appelle.
D'autres personnes évoluent dans ce microcosme, notamment la femme de ménage asiatique surnommée la Phan-Kim, une femme à la forte présence et qui ne s'en laisse pas compter.
La plume est belle, certains passages sont prenants. En effet, le souvenir de la Shoah, sans dire son nom, plane sur l'histoire de Madame.
Cependant, dès le début, il m'a manqué une ligne directrice pour vraiment m'ancrer dans l'histoire.
Dans l'ensemble, le discours de la narratrice m'a paru confus. Les nombreuses ellipses m'ont fait décrocher à plusieurs reprises.
L'intérêt éprouvé en début de lecture n'a pas réussi à retenir mon attention sur la durée.
"Madame", de Gisèle Berkman
Avis de la page 100 - explorateur de la rentrée littéraire
Une lecture qui sonde l'intimité de l'héroïne, on ne sait où ses confessions vont nous mener. On sent que quelque chose va arriver, qu'un ou deux secrets vont être dévoilés, mais on ne parvient pas à émettre une quelconque supposition au travers de cette écriture franche et dense. Les prochains chapitres vont-ils transformer l'imagination en la réalité ?
Chronique finale :
Madame" est un roman qui mixe secrets, imaginaire et réalité. Il nous transporte dans un tourbillon de non-dits, ponctuant notre lecture de "et si" et de "peut-être".
L'héroïne n'est point nommée, elle est la narratrice principale installant d'emblée une proximité avec le lecteur. Nous entrons dans son intimité, dans ses pensées, dures parfois mais toujours empreintes d'une certaine candeur. Elle nous dévoile ses secrets qu'elle ne peut partager avec les autres protagonistes au risque de se retrouver dans une situation inconfortable, cocasse voir précaire.
Cuisinière de celle qu'elle aime appeler Madame (cette femme hautaine aux secrets enfouis qui la traite comme une moins-que-rien mais qui semble paradoxalement dépendante d'elle), elle subit sa servilité faute de souvenirs sur son passé qui lui permettrait de comprendre les liens qui les lient.
L'auteur nous pousse à la concentration avec des phrases longues qui rendent notre souffle court mais qui sont l'echo de la vivacité des pensées de l'héroïne. Ce choix de syntaxe pose une certaine suspension dans le temps qui nous permet de nous représenter la scène décrite, de partager les sentiments ressentis.
J'ai apprécié ce récit qui propose des personnages à la forte personnalité et aux multiples secrets. La dégradation de l'état de Madame qui s'opère de façon lente mais sûre fait contraste avec la libération de notre héroïne qui semble aspirer les forces et les souvenirs de sa patronne. Je me suis parfois perdue dans les méandres de l'imagination de la narratrice et dans certaines descriptions "à rallonge". Les multiples non-dits ont créé en moi une certaine impatience, une sensation d'inachevement tant les repères semblent infimes de réalité. Tel notre cuisinière, je ne savais plus démêler le vrai du faux, ne sachant si cette dernière relatait la réalité ou la construisait. Quand bien même, il est indéniable que le récit et les personnages narrent la vie avec justesse et avec sincérité, donnant une dynamique supplémentaire à la lecture.
En conclusion, ce premier roman de Gisèle Berkman est intrigant dans son contenu et sa forme. Il nous happe, nous déroute parfois, par sa richesse lexicale et par les sensations ambivalentes qu'il nous transmet."
Explorateurs de la rentrée littéraire 2021
Ce premier roman de Gisèle Berkman ressemble d’abord à une enquête. Le mystère y est en effet omniprésent.
Une narratrice nous raconte sa vie au quotidien en tant qu’employée de maison chez « Madame ». Mais qui est Madame exactement ? Quel lien unit ces 2 femmes ? Quel poids pèse la Shoah dans le passé de Madame et de Monsieur, disparu, dont le bureau semble être un refuge qui peut-être cache la vérité.
Je me suis rapidement intéressé à cette quête. Moi aussi j’ai voulu savoir, fouiller ce bureau, comprendre cette haine et cette colère qui pèse dans les rapports entre ces 2 femmes.
Force est de constater que mon entrain s’est étiolé, fatigué… Une photo d’un petit garçon est trouvée, de nombreuses questions sont posées mais peu de réponses sont données. On en vient à douter de la santé mentale de la narratrice qui semble sombrer dans la paranoia et la psychose.
J’ai refermé ce livre avec incompréhension… Les ingrédients qui avaient piqué ma curiosité avaient disparu depuis longtemps.
Avis de la page 100 - Explorateurs de la rentrée littéraire 2021
Qui est Madame ? La narratrice elle-même ne le sait pas.... Est-ce sa mère ? Quel est son prénom ? Les souvenirs de cette voix féminine sont flous. Elle tente alors de nous raconter son quotidien au service de Madame... le thé à servir, les gâteaux à préparer, les nuits dans son terrier, les rares visites et les encore plus rares promenades à l'extérieur de la maison... et sa haine pour cette femme, profonde, ancrée, amère.
Les questions sont nombreuses... Quel est le poids de la guerre, de la shoah sur la vie de Madame... Révèlera t-elle tous ses secrets ?
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