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«Son emprunt, il ne pouvait pas le rembourser, mais pour la télé et la vidéo de Dick, là, il avait de l'argent.
Mais à quoi donc m'étais-je attendue ? Que je pourrais m'approcher de ce moderne Wangrin sans m'empêtrer dans sa toile ? Mon wagonnet était passé et Bina l'avait accroché au train des événements heureux de sa vie.» Avec l'histoire de Bina, courageux postier malien, débrouillard et opportuniste, qui a fait de Lieve Joris son sponsor et lui a dédié sa cabine téléphonique, s'ouvre une série de récits consacrés à l'Afrique (Mali, Congo, Tanzanie, Sénégal.), au Proche-Orient (Egypte, Syrie) ou à l'Europe de l'Est (Pologne, Hongrie).
Comme toujours chez Lieve Joris, on est frappé par la densité des rencontres. La voyageuse n'est pas en quête de sujets de reportage, mais de compréhension des destins. Toujours hébergée chez l'habitant, elle laisse le temps la rendre familière, dissiper «l'étrangéité» de sa présence. Elle observe, questionne, écoute. Les lieux où elle fait étape sont encore sous le choc de bouleversements violents. La survie, la débrouille ou la magouille sont de règle.
Une attaque des rebelles touareg a forcé le postier Blina à recommencer sa vie plus au Nord, l'Etat lui a supprimé son emploi, il tente de tirer profit de son amitié avec Lieve. Au Congo, l'ancien étudiant en commerce, Salumu, tient un dépôt de marchandises, fait des affaires au gré des opportunités, se déplace sans cesse, s'attarde à une liaison extraconjugale. l'arrivée du nouveau régime de Kabila n'a en rien changé un mode de vie basé sur l'astuce et l'initiative.
Au Caire, une dame de l'ancienne bonne société, ruinée par le régime Nasser, tient pension et préserve quelques habitudes dignes de la belle époque. En Syrie, l'avocat Ismaîl veut conduire Lieve dans le village de sa famille, mais lui pose un lapin. Elle le comprendra plus tard : être vu en compagnie d'une étrangère aux confins des territoires kurdes pourrait valoir à Ismaïl de graves ennuis.Partout, les régimes politiques passent ou reviennent, se succèdent et se ressemblent.
Partout les fonctionnaires et les porteurs d'uniformes tentent de prélever leur dîme. Dans la Pologne de Kapuscinski, avec lequel Lieve Joris passe quelque temps, la fonction publique incarne souvent l'ancien ordre communiste, dont on ne sait plus s'il faut le craindre (parce qu'il pourrait revenir) ou le regretter (parce que la situation n'est pas meilleure qu'avant). Pour Kapuscinski, la Pologne n'en finit pas de ne pas surmonter les destructions de la guerre.
A Lieve Joris qui le prend à témoin de la précarité, de la pauvreté ou des pénuries en tout genre, il lance avec irritation : «Est-ce qu'on demandait à Sartre pourquoi le métro parisien était sale ?» Du Sud à l'Est, la voyageuse promène un regard sans préjugés, attentif, attachant, toujours infiniment respectueux de ses interlocuteurs. Elle n'est jamais dupe, mais elle n'est jamais juge. Elle semble nous montrer, par ce recueil, à quel point l'immense majorité des gens qu'elle croise s'ingénient à se construire une vie dans un champ d'obstacles, dispersés sous toutes les latitudes, mais finalement bien peu dissemblables.
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