"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
L'Université de Rebibbia est le récit du séjour que fit Goliarda Sapienza dans une prison en 1980. Moment critique dans la vie de l'auteur: après s'être consacrée de 1967 à 1976 à l'écriture du monumental roman L'Art de la joie et avoir fait face à un refus général des éditeurs italiens, c'est une femme moralement épuisée qui intègre l'univers carcéral de Rebibbia, la plus grande prison de femmes du pays. Pour un vol de bijoux qu'il est difficile d'interpréter : aveu de dénuement ? Acte de désespoir ? N'importe. Comme un pied de nez fait au destin, Goliarda va transformer cette expérience de l'enfermement en un moment de liberté, une leçon de vie. Elle, l'intellectuelle, la femme mûre, redécouvre en prison - auprès de prostituées, de voleuses, de junkies et de jeunes révolutionnaires - ce qui l'a guidée et sauvée toute sa vie durant : le désir éperdu du monde.
L'Université de Rebibbia est un nouveau tour de force dans l'oeuvre d'une femme au parcours décidément hors norme. Il fut immédiatement perçu comme un texte important en Italie. Publié par la prestigieuse maison d'édition Rizzoli, le livre fut accueilli avec enthousiasme par la critique et le public. On découvrait avec étonnement une écrivaine déjà âgée, partageant avec drôlerie et férocité son expérience d'une prison qui, pour reprendre ses mots, « a toujours été et sera toujours la fièvre qui révèle la maladie du corps social ».
Ironie de l'histoire, L'Université de Rebibbia deviendra ainsi le premier succès de Goliarda Sapienza. Et son dernier. Malgré les bonnes ventes du livre, Rizzoli maintint son refus de publier L'Art de la joie, condamnant encore pour plusieurs années ce texte à l'obscurité d'un tiroir.
Goliarda Sapienza s'éloigne du style de "L'Art de la Joie" pour un roman-récit plus intime mais toujours avec cette façon de dire les choses comme si elle cela devait arriver, sans jugement ni émotion débordante. Dans l'Université de Rebibbia, j'aurais presque tendance à dire qu'elle a comme une démarche d'ethnologue en centre pénitentiaire "haut de gamme" pour femmes en Italie. En effet, Rebibbia est une prison moderne pour femmes avec une libre circulation des détenues au sein du pénitencier.
"L'université de Rebibbia" ou "Manuel de survie dans un microcosme de la société en générale mais sans les règles sociales". Sapienza démarre son écriture, assez sûre d'elle, comme si sa culture, sa maîtrise sociale, son apparence pourrait lui permettre d'être au-dessus du panier et de s'en sortir haut la main. Et ce n'est pas du tout le cas. D'ailleurs, elle dit décider d'écrire sur cet épisode réel de sa vie suite au suicide d'une de ses co-détenues de cellule. Comme si, en se mettant au vert en prison, elle venait de prendre conscience qu'on n'échappe pas à la société.
Comme d'habitude, rien de descriptif mais de la vie en tant que telle, une réalité qui défile. "Les différences de classe règnent ici comme dehors, insurmontables : la prison est le spectre, ou l'ombre de la société qui la produit" (p.152). On échappe de peu à la violence directe, au massacre d'un visage par un tesson de bouteille, à la drogue par des moyens détournés, à l'envie sexuelle en l'absence d'hommes, à l'amour plus ou moins sain ou malsain, aux rixes, aux "salons de thé" dans les cellules, à la folie du rejet des autres si les règles non écrites ne sont pas respectées, à la dépendance d'aimer la prison pour certaines car plus protecteur et chaleureux que le dehors, etc. Rien n'est vraiment écrit directement mais tout est là, en une phrase, un dialogue...
Et puis Barbara qui se suicide après une fouille au corps en huis clos par 3 hommes. 4 femmes sorties de nulle part finissent dans sa cellule : suicide. Les détenues diront qu'elle s'est suicidée par amour pour son homme. On pense plutôt à un viol ou un règlement de compte et puis on a finit par comprendre au fil de toutes ces pages qu'on va vite se ranger à la version officielle...
Poignant, avec une maîtrise de la narration et des dialogues époustouflants et ce, sans mélo ou émotivité. Un livre étonnant et saisissant !
Goliarda Sapienza, dans les années 80, est emprisonnée pour vol, sorte de « suicide » pour se sortir d’un cercle bobo-infernal. Il y a de moins dure sortie que celle-ci !
J’ai scindé le livre en trois « actes »
Goliarda entame son incarcération par une période d’isolement, seule dans sa cellule. Une entrée brutale où ce qui la terrorise est « l’anormalité de leur silence » où l’imagination est une ennemie « Il faut que je parvienne à arrêter mon imagination et que je m’en tienne seulement aux gestes et aux pensées qui peuvent m’aide »r à tout dépasser avec le minimum de souffrance. ». « Ne pas se plonger dans la souffrance, autre tentation presque voluptueuse en comparaison de la solitude qu’on sent autour de soi. ».
La violence, la dureté des gardiennes ne l’atteint plus, ne l’humilie plus. « Cette violence blesse mon visage comme une gifle mais ne m’humilie pas. Je m’en étonne, tandis que m’alarme le soupçon atroce que cette non-humiliation soit due au fait que je me sens « condamnable », racaille désormais digne de n’importe quelle insulte de quiconque est en règle avec la loi. » Elle lutte contre toutes « les sirènes carcérales », l’apitoiement sur soi, la non-humiliation… pour résister et rester un être vivant. Il faut tenir mentalement.
La seconde partie est consacrée à son déplacement dans les « camerotti », où elle partage avec une cellule avec deux codétenues. L’une, espèce eunuque féminin et la seconde une droguée, dépressive, droits communs comme elle. Dans ce milieu fermé mais dont les cellules sont ouvertes toute la journée, c’est un va et vient continue. Goliarda est une éponge. Tous sens ouverts, elle découvre « les politiques », les réunions, les discussions, les petits repas improvisés à partir des colis de la famille, l’entraide et finit pas changer de cellule et se retrouver avec des intellos comme elle.
La scène finale et dernier acte, est comme un grand feu d’artifice avec cette gigantesque empoignade à coups de pieds et de poings entre taulardes et gardiens mâles suite à la tentative de suicide d’une détenue.
Dans sa note, l’éditeur précise les conditions pénitentiaires de l’époque avec sa cohorte de suicides et de révoltes Je n’ai pas ressenti cela dans l’université de Rebibbia. Est-ce dû à l’écriture de Goliarda Sapienza ? Pourtant l’auteur raconte la saleté, la promiscuité, la peur et j’y ai trouvé de l’amour, de la solidarité. Elle parle de cette période avec une drôlerie un peu féroce à l’image de la condition carcérale, sorte de comedia dell’arte où les masques tombent, l’humanité de dévoile.
Goliarda Sapienza écrit avec ses tripes, mais sans en rajouter avec juste l’ironie et les saillies nécessaires pour retranscrire ces vies. Elle met en scène son séjour carcéral, ce cours accéléré de la vie. Aussi bizarre que cela puisse me paraître, elle y a trouvé une certaine sérénité. Il faut faire attention à ne pas devenir comme d’autres détenues qui demande à sortir à cors et à cris et, sitôt dehors, se dépêche de faire la connerie qui leur permettra de retourner en cellule retrouver le petit cocon qu’elles se sont fabriquées à l’abri du monde extérieur.
Un superbe bouquin, où les scènes décrites sont très visuelles, où les odeurs, les couleurs sont omniprésentes. Un grand coup de cœur pour cet auteur si longtemps méconnue. J’avais eu également tant aimé « Moi, Jean Gabin ». « L’art de la joie » m’attend sagement sur son étagère.
Je remercie Lucie et les éditions « le Tripode » pour ce livre que je referme avec regret
Petit plus, l’intérieur de la couverture où sont photographiés quelques feuillets du tapuscrit. Sur la couverture, Goliarda nous regarde fumant sa clope avec son regard ailleurs.
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