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La maison d'enfance à Tunis, avec son patio et sa vasque bruissante, ses appartements aux meubles polis par les ans, sa terrasse. Royaume enchanté que gouverne une grand-mère par la grâce de qui perdure une tradition de vie méditerranéenne et musulmane.
La narratrice, qui vit habituellement à Paris, retrouve là-bas, au cours de séjours épisodiques, ses racines. Elle ne peut s'empêcher toutefois de remarquer combien cet îlot préservé est battu par le flot de la vulgarité moderne : dans les constructions nouvelles, chez les nouveaux notables et leurs épouses, parmi les couches sociales qui, de la vie occidentale, ont assimilé les plus mauvais aspects.
Elle-même, qui a perdu la foi et adopté un genre de vie européen, n'est rattachée au passé que par des liens que la mort va trancher. Elle regrette ce monde si présent encore et qui se transforme sous ses yeux. Pour le mieux ou pour le pire ?
Dans ce livre, Hélé Béji raconte sa maison d’enfance à Tunis et, comme tous souvenirs d’enfance, ils sont faits de bruits, d’odeurs, de sensations, de couleurs.
La maison est le royaume de sa grand-mère, là où elle a ses racines. Maintenant, elle vit à Paris et ne vient que pendant les vacances à la Médina de Tunis. Elle, qui vit à l’occidentale, et perdu la foi, voit d’un œil neuf, à chaque arrivée, la modernité gagner du terrain dans ce qu’elle a de moins beau : tours en béton, publicité agressive, vulgarité…
Sa grand-mère vieillit et pour engranger les souvenirs, elle nous raconte la vie quotidienne de sa maison ; le patio avec la vasque qui bruisse, le lit que l’on y installe l’été, les coussins, les conversations entre amis et voisins ; décrit la vie que mène sa grand-mère avec sa négresse et ses voisins. Comme elle l’écrit, elle fait provision de souvenirs et revient à Paris « l’âme aussi chargée qu’un couffin de marché ».
Son écriture se fait poétique, riche de mille détails, pleine d’amour, pour décrire le quotidien, sa grand-mère. Les phrases sont ciselées comme les moucharabiés, fines comme de la marqueterie. La mélancolie y est très présente contrebalancée par quelques traits satiriques.
C’est un livre d’Amour, un livre sur l’amour que Hélé porte à sa grand-mère, une déclaration d’amour à la maison. C’est aussi un album de photos ; clichés de la maison qu’elle nous décrit avec beaucoup de détails et minutie.
Il faut être très présent pour en apprécier toute la quintessence, pour en extraire tout le suc
Lorsque Zazy m'a proposé gentiment de me prêter ce livre, vu ce qu'elle en avait dit, je n'ai pu qu'accepter. Et bien m'en a pris. Quel texte ! Bon, je relève quand même des longueurs, mais on les pardonne tellement le bouquin est beau, bourré de poésie, de belles phrases, belles et longues. C'est un livre lent qui s'attarde sur les couleurs et les sensations, sur les paysages et les constructions, sur les lieux et les gens : "Au fond du patio, sur la droite apparaît la soubrette de grand-mère, celle que j'ai envie de surnommer la négresse d'Olympia, car elle semble être la jumelle de la servante d'Olympia peinte par Manet, debout derrière sa maîtresse avec la même éternité que l'autre derrière ma grand-mère, dont la corpulence assez fondue par l'âge se retrouve entière chez la servante, rehaussée par la ferme puissance de la jeunesse, que la couleur noire polit d'un brillant supplémentaire, comme un émail sur les arabesques d'une haute jarre."(p.41) Lorsqu'elle revient à Tunis, l'auteure observe et écrit dans le bureau de son grand-père. Elle écoute aussi les histoires de sa grand-mère et des amis d'icelle. Tous lui racontent le Tunis de son enfance et de la leur, le Tunis qui disparaît au profit d'une ville plus moderne qui perd de son charme à leurs yeux.
C'est un très beau texte qui mérite attention et persévérance, qui se mérite comme on dit parfois. La longueur des phrases, la lenteur du propos, peuvent en rebuter plus d'un, ce qui serait fort dommage, qui pourrait rater un passage tel ce suivant : "Je sens couler sur mon visage, par la fenêtre ouverte de la voiture, un onguent de chaleur, de lumière condensées, une moiteur thérapeutique, et comme nous venons de survoler les vergers les plus beaux de la capitale, je me plais à croire que les effluves d'orangers qui forment leur dernier rideau d'arbres juste avant la piste d'atterrissage parviennent jusqu'ici et me distillent grâce au vent qui balaye le terre-plein les essences florales que je retrouverai dans quelques instants dans la fiasques ventrues habillées de tricot rose, sur l'armoire de ma grand-mère, derrière la crénelure du bois comme une fortification, et dont une autre paire jumelle en laine bleue m'attend aussi sur la commode de ma chambre, formant ensemble une famille de quadruplés." (p.75
Une écriture fine et délicate pour un livre qui ne l'est pas moins, toujours bien présenté chez Elyzad, même dans la collection poche : un soin très particulier pour des livres qu'on aime tenir en mains. Une réédition bien vue d'un livre écrit en 1985.
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