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Sur tout le continent européen, l'extrême droite a imposé l'idée que l'identité serait l'enjeu crucial des sociétés contemporaines. Le mouvement des hommes, stimulé par l'actuelle mondialisation, serait en train de bouleverser l'équilibre des cultures installées. La nation, l'Occident, la chrétienté, nous dit-on, sont menacées : il nous faut donc désormais défendre notre identité, ou la retrouver si nous estimons qu'elle est perdue. « Nous ne sommes plus chez nous » devient un credo de plus en plus lancinant. Et quand on n'est plus chez soi on finit par ne plus savoir qui on est...
La peur de l'autre est en passe de devenir le pivot exclusif de nos imaginaires. À quoi s'ajoute une autre conviction, qui veut que les sociétés occidentales soient en « état de guerre ». Le choc des civilisations opposant l'Occident et l'Islam avait été annoncé dès le début des années 1990. Après l'attentat du World Trade Centre, il est devenu une guerre contre le terrorisme, qui justifie les mesures les plus sévères, aux confins de l'état d'exception. La crainte de l'identité perdue et la hantise de la menace se conjuguent ainsi, au risque de toutes les clôtures et de tous les affrontements.
Le parti pris de ce livre est d'affirmer qu'il ne faut ni accepter l'omnipotence de l'état de guerre ni s'abîmer dans l'obsession de l'identité. Les êtres humains ont besoin de s'ancrer dans une histoire, de combiner de multiples appartenances, familiales, sociales, politiques, idéologiques ou culturelles. Tout individu a besoin de s'identifier, pour être pleinement une personne. Mais dès l'instant où l'effort nécessaire d'identification se fige dans la définition d'identités fermées, données par avance, l'individu est confronté à un double risque. Il peut aliéner sa propre liberté ; il peut se trouver entraîné dans la spirale des concurrences identitaires qui font oublier que tout être humain est à la fois autonome et solidaire de tous les autres. Au jeu de l'opposition du « eux » et « nous », la dépendance et la guerre sont un horizon possible. En 1914, le heurt des nationalismes précipita l'Europe dans le cataclysme d'une guerre mondiale. Le choc des identités nous prépare un avenir qui pourrait être pire encore.
Si l'identité occupe à ce point le devant de la scène, c'est toutefois parce que l'égalité lui a laissé le terrain. Les échecs du soviétisme et les impasses de la social-démocratie ont discrédité l'idée. Il est mortifère d'en rester à cet échec. Ce n'est pas parce que la pratique de l'égalité a déçu qu'il faut renoncer à ses valeurs et à sa perspective. Plutôt que la frénésie identitaire et la hantise de l'Autre, qui poussent à l'anéantissement, on promouvra ici l'avancée concrète de l'égalité, de la liberté et de la solidarité. Leur donner une forme et des contenus modernisés, est la seule manière d'échapper au chaos des affrontements sans fin.
La mise en commun des égaux vaut cent fois mieux que la guerre des identités.
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