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Cherchant un habit d'apparat, l'auteur perd la tête et se dénude Envoyé en Amazonie péruvienne, l'auteur, un phytochimiste, doit mener un travail de terrain sur l'usage et l'efficacité des plantes pouvant avoir un effet sur le système nerveux central. Pour cela, il se fait cobaye. Il absorbe l'ayahuasca.
EXTRAIT Je n'avais jamais bu une chose aussi amère. J'en avais pris une pleine calebasse, tout autant que Nete Vita et ses deux disciples sinon plus, pour que l'expérience soit réussie, valable sur le plan scientifique. J'avais hésité à boire. Le docteur m'avait alors foudroyé du regard. Bois ! Un coup de coude dans les côtes m'avait décidé à avaler le liquide.
Assis à même le plancher, nous formons un demi-cercle, face à Nete Vita et ses disciples. Au milieu, le malade, à demi-prostré. La cabane est éclairée par une lampe à pétrole. Les ombres dansent, et dansent autour d'elles les hémiptères. Je les vois tourner, se poser sur moi depuis un certain temps, mais je ne sens pas leurs piqûres. Je me gratte. Je ne sens pas ma peau sous mes doigts. Je me pince. Rien. Je ne sens pas mes oreilles mais j'entends. un chant aigu de femme, une voix soprano ; pourtant il n'y a que des hommes dans la cabane. Je lève les yeux sur Nete Vita. Ses lèvres remuent. Il chante. Une voix de haute-contre, technique vocale des onanya et des meraya, ceux qui voient et ceux qui rencontrent, en langue shipibo.Que voit-il, qui rencontre-t-il ?
- Savez-vous, Docteur, que sous l'effet de l'hallucinogène, Nete Vita voit une autre réalité, des esprits, les esprits des plantes, me souffle le docteur Ulises. Ces dessins, ces lignes qui ornent les céramiques et les toiles shipibo que vous admirez tant, avec l'ayahuasca, Nete Vita les voit sur les corps de ses patients, comme une deuxième peau. Sur des corps sains elles sont nettes, bien dessinées. Sur ceux des individus malades, elles sont brouillées, n'obéissent pas aux lois de la symétrie.
Sur la façade de l'Eglise, à droite du porche, se dresse un Conquistador. Un sarment de vigne grimpe sur les bottes, évite l'épée, s'entortille autour des cuisses puis des cuirasses, et atteint son pourpoint. La liane sacrée des Espagnols déploie ses pampres, ses feuilles s'ouvrent, ses grappes cherchent le visage du saint, elles s'inclinent vers sa bouche. Il va boire la boisson sacrée, celle qui se transforme en sang, celui de l'Homme dieu. Le vin s'écoule dans la bouche. Le miracle a lieu. Paysans et Indiens tombent à genoux aux pieds de l'homme à l'armure dorée, murmurent une prière, l'implorent.
Un coup de fouet claque.
Le carrosse d'or de Ferdinand, vice-roi du Pérou, accompagné de Camilla, sa nouvelle maîtresse, favorite de la troupe de comédiens arrivée dans cette riche et lointaine colonie espagnole après un voyage dans les deux océans,arrive de la grande Place d'Armes au galop de ses quatre chevaux ébouriffés. Face au miracle, les chevaux se cabrent, effrayés. Ferdinand se jette sur Camilla, la saisit, la retient, l'étreint, lui évite la chute. L'éclair d'un embrassement. Les écailles d'or du pourpoint du saint pleuvent sur les mendiants. Les Indiens s'émerveillent, se signent. La foule accourt de toutes parts. C'est le miracle de la liane sacrée des Espagnols. Ferdinand, en pourpoint éclatant d'or lui aussi, caresse de ses yeux sa plus belle conquête. Il lui faisait l'honneur d'une visite de Lima au grand scandale du haut clergé et de la noblesse espagnole. Le carrosse est couvert de sculptures baroques où apparaissaient des angelots, leurs visages bouffis et leurs ailes avortées. Les indiens qui les avaient peints leur avaient fait des joues roses, des yeux bleus et des chairs très blanches. Etait-ce pour plaire aux Espagnols, par esprit courtisan, ou par ironie pour se moquer de leurs maîtres dont la presque absence de mélanine semblait ridicule et sujet de moqueries à ces gens à la peau mate. C'étaient des albinos, des fantômes.
- Te mareaste Tonon ?
Le curandero me fit sortir de ma contemplation de cette vision du vice-roi du Pérou, parée d'or, et de sa Camilla, pour retrouver la demi-obscurité de la cabane.
- Te mareaste Tonon ?
Le goût amer de l'ayahuasca avait disparu. Une petite heure auparavant j'avais ingurgité ce liquide épais et violemment vomitif qu'il m'avait servi. J'avais hésité longtemps avant d'absorber l'ayahuasca, par peur de l'inconnu et de toutes ces visions qui affolent les locaux, métis hispanophones et indigènes riverains. Visions de serpents ouvrant des bouches armées de crocs venimeux, de boas géants s'approchant et s'enroulant autour de leurs corps pour les étouffer. L'amertume de l'ayahuasca s'étant dissipé, je me félicite d'avoir essayé ce breuvage, il m'offre de belles images, en rien effrayantes.
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