"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
La mort brutale du père de Lucien, gamin gauche et un peu bébête, est un déclic : il consacrera sa vie au sport. Il se lance à corps perdu dans le foot, le vélo, l'athlétisme, entrevoyant aussi les joies de l'amour et de la jeunesse. Mais il a beau faire, il reste l'éternel nigaud à côté de la plaque, dont on rit pour éviter d'avoir à en pleurer. Il grandit nonchalamment, travaille vaguement, flirte mollement, et va voir des matchs au stade avec son seul ami, Jean-Luc.
Sa vie suivra cet itinéraire touchant et pathétique, celui d'un dératé ingénu, qui pédale autant qu'il picole, quand il ne s'endort pas devant la télé. C'est l'histoire d'un enthousiaste velléitaire, d'un raté attachant, dans lequel on sera tous parfois amenés à se reconnaître quelque peu. On retrouve avec bonheur la verve aimable et ciselée de Bernard Leconte, drôle et toujours tendre avec les héros maladroits de la vie ordinaire.
Un petit livre savoureux.
On ne peut pas dire que Bernard Leconte ait fait de son Lucien un Apollon, un dieu grec : "De ces parties [de football entre gamins de la cité], Lucien avait été le spectateur un peu triste ; son gros cul, ses jambes blanchâtres, sa tête de jeune veau nourri à l'étable et qui cligne des yeux dès qu'il voit la lumière, ne prédisposaient pas les joueurs à l'introduire dans leur équipe" (p.16) Alors Lucien s'invente un oncle entraîneur, qui ne viendra jamais, puis il s'inscrit dans un club dans lequel il pratique la course de fond discipline dans laquelle il ne brille pas non plus. Il fait aussi beaucoup de bicyclette arpentant les rues de Paris et sa banlieue pour y retrouver une bande de copains voire une fille qui accepterait de partager un moment avec lui. Puis Lucien grandit. Il vit toujours chez sa mère à plus de quarante ans, végète dans son travail et dans le sport, pratiquant toujours le vélo intensivement, son seul moyen de locomotion.
C'est un livre à la fois léger et drôle, un de ces bouquins qu'on lit avec plaisir, parce que la langue est belle : "L'oncle Maurice était le frère de son père. [...] Sa femme, la tante Amandine, avait beau lui montrer en exemple son frère Georges qui se décarcassait pour acquérir pétrolette et téléviseur, lui tenir des objurgations publiques, lui faire honte, montrer à tout le monde, avec un geste lyrique du bras, le logis qu'elle briquait certes dévotement, mais qui manquait du moindre superflu à cause de l'inertie de Monsieur, l'oncle Maurice s'obstinait à considérer que quarante-quatre heures chez son employeur qui fabriquait des meubles légers pour OS (ouvriers spécialisés), c'était déjà beaucoup." (p.11/12), parce que les personnages à défaut d'être beaux et totalement sympathiques sont décalés par rapport aux canons actuels : une image me vient en écrivant mon article, celle des Deschiens, troupe de comédiens qui fit beaucoup pour les belles heures de Canal+. Malgré les moqueries, l'humour au détriment de Lucien, on sent que Bernard Leconte a créé un personnage qu'il aime bien, un type avec des convictions -qui peuvent varier-, entier et plus maladroit et benêt que méchant.
Dans Qu'allons-nous faire de grand-mère, Bernard Leconte usait de la même belle langue, de belles descriptions de paysages pour parler des personnes âgées que certains dépotent véritablement dans des maisons de retraite. Dans L'étrange itinéraire d'un dératé, il parle des petites gens, ceux qui n'ont pas une vie comme tout le monde, de ces gentils godiches ou empotés qui sont toujours ceux qu'on regarde sans méchanceté la plupart du temps mais toujours avec une pointe de moquerie ou de condescendance.
Une histoire simple d'une belle écriture enlevée : un de ces romans qui font passer un excellent moment et dont le personnage principal pas toujours sympathique mais attachant pourrait bien rester en tête un petit moment.
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