"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
C'est le xvi e siècle. La France est déchirée. Les têtes des huguenots trônent sur des pics, les catholiques sont brûlés vifs dans leurs églises. François II, Charles IX, Henri III. Les souverains se succèdent sans parvenir à faire bais- ser les armes. Partout des villages assiégés sont décimés par la famine. Pour- tant, Gabriel des Feuillades, vétéran des guerres d'Italie et héros du siège de Sienne, veut retrouver foi dans les hommes. Depuis son domaine périgour- din, il tente d'oublier les excès de son temps en jouant aux échecs, relisant les Grecs, observant les arbres pousser. Et l'existence de cet amoureux de la nature, plus préoccupé du cosmos que des dogmes chrétiens, s'égrène, entre conversations avec son chapelain, parties de chasse avec son fils Ulysse et nuits volées auprès de sa pulpeuse servante - autant de menus plaisirs que cet hédoniste rapporte à la façon de Montaigne dans son livre de raison.
Mais l'Histoire ne se laisse pas ignorer si facilement : alors que les guerres de religion ensanglantent les pavés de Paris et de Bergerac, Gabriel est forcé de rallier le camp des catholiques. De son côté, Ulysse, déçu par son père et in- consolable depuis la mort de sa soeur, décide de s'engager. Le voilà parti sur les routes de France, amoureux d'une protestante mais guerroyant auprès des catholiques pendant de longues années. Jusqu'au jour où, apprenant que son père a préféré subir de redoutables épreuves plutôt que céder à l'ennemi, et que sa mère est morte sans sépulture, il oublie son animosité et décide de re- venir vers les siens.Tableau impressionniste, herbier littéraire, photographie d'une époque, Les Serviteurs inutiles est un diptyque romanesque qui interroge la mentalité des hommes de l'Ancien Régime avec une rare modernité. De sa langue sensuelle et ciselée, Bernard Bonnelle exhume l'un des chapitres les plus sombres de l'Histoire française et parle de tolérance et de réconciliation à une époque - la nôtre - qui n'en a jamais autant eu besoin.
Touchant roman à la force tranquille et à la tonalité délicieusement et noblement surannée ...Croyant marcher dans les pas de Montaigne, je me suis calée avec délice sur le rythme de vie et de pensée des habitants des Feuillades et c'est bien à regret que j'en ai finalement refermé la porte en même temps que mon livre...
N’ayant pas lu depuis un certain temps de romans historiques, c’est avec un appétit de fin gourmet que je me suis jeté de toutes pattes sur « Les serviteurs inutiles » de Bernard Bonnelle. L’histoire se situe entre 1561 et 1593 dans le Périgord, époque où les guerres de religion fouettaient le royaume de France avec comme point culminant, si j’ose m’exprimer ainsi, le massacre de la Saint –Barthélémy, le 24 août 1572, d’abord sur Paris et ensuite en province.
C’est dans ce contexte rouge sang, que l’on découvre Gabriel, ancien combattant des guerres d’Italie, qui essaie de d’éloigner de ce monde de ténèbres, dans son domaine des Feuillades, entre les feuilles d’un arbre, le vol d’une hirondelle et ses écrits où se côtoient herbiers et héros de l’Antiquité. Avec sa femme Louise, il aura deux enfants, un fils Ulysse et une fille Phœbé, des prénoms pas très catholiques mais ô combien emblématiques… Des étoiles, des sages de l’antiquité… il dialogue avec eux en silence et semble être un homme un peu effacé par rapport au tumulte religieux derrière les collines.
Son fils Ulysse est son contraire. Timide et d’aspect fragile, il grandit dans un contexte familial à la fois soudé et distant. Seule sa petite sœur Phœbé semble l’émouvoir, ce petit peuplier différent qui ne parle pas, ne grandit pas et a les yeux bridés… mais entre les deux, une grande communion existe. Les années passant, il devient un fervent catholique et seule cette religion trouve grâce à ses yeux et encore plus à son âme, malgré son cœur qui balance pour Flore, protestante et fille du pire ennemi de la famille. Un jour Phœbé rejoint les étoiles éternelles et aussitôt Ulysse quitte le foyer familial avec pour seul regret celui de quitter sa chère mère. Son père, il le déteste, ne lui trouve plus que des défauts et surtout il devient profondément blessé quand il apprend qu’il rejoint fréquemment le lit de la servante…Timoré il était, ardent combattant il va devenir. Mais cette épopée belliqueuse et religieuse, le fera revenir sur ses terres d’origine avec un esprit bien transformé.
Ce sont les pensées de Gabriel puis d’Ulysse qui forment les deux parties de ce récit. Certes, quelques longueurs sont à déplorer mais c’est un véritable hymne à la sagesse et à la poésie qui coule sous vos yeux, une extrême délicatesse des sentiments sur fond d’intolérance religieuse. Ce fanatisme brutal, sans l’once d’un regret face aux massacres, aux tortures, aux corps pendus, déchiquetés, brûlés… qui renvoie à cette sempiternelle réflexion sur l’irresponsable mélange entre spiritualité et politique. « Les serviteurs inutiles » est une réussite littéraire, tant pour la sensibilité inouïe que pour la sagesse et l’humilité de l’écrit. S’ajoute le plaisir de redécouvrir des mots désuets, tels que « fleurdelysé », « hallier », « palude » ou encore « poutraison ». La voix de la raison par une plume en floraison.
« Je ne m’accommode d’une morale, d’une sagesse, d’une religion que si elles sont indulgentes à nos errements et ne prétendent pas éradiquer l’ivraie dont j’aime apercevoir quelques hautes tiges dans le champ où pousse le bon grain. »
« La multitude des étoiles dans la nuit me rappelait que l’univers était immense et éternel, et que les misères que nous subissions n’étaient que passagères illusions. »
« Je rêve d’une autre religion, toute nouvelle ou très ancienne, sans dogme ni culte, sans prêtres ni guerres, dont le seul exercice de piété serait la joie d’être au monde. »
http://squirelito.blogspot.fr/2017/11/une-noisette-un-livre-les-serviteurs.html
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