"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Claude Tresmontant a laissé une oeuvre profondément originale et puissante, interdisciplinaire, dans laquelle il s'est efforcé de repenser toute la tradition chrétienne face au développement scientifique et aux grands courants de la pensée contemporaine. Philosophe des sciences, métaphysicien et théologien, il était aussi et en même temps un immense hébraïsant. La connaissance intime de la langue de la Bible a fécondé et éclairé toute son oeuvre. Le grand rabbin Kaplan a pu dire un jour de lui : Ce juste parmi les nations est l'homme au monde qui sait l'hébreu. Nous, nous savons de l'hébreu, lui il sait l'hébreu.
Au carrefour de ses études sur la crise moderniste et de ses travaux sur l'hébreu biblique et le grec de la Septante, il fut conduit à reconsidérer de fond en comble les bases de l'exégèse dominante concernant la connaissance que nous avons aujourd'hui des Évangiles.
Contrairement à beaucoup de traductions récentes qui privilégient l'improvisation ou même la fantaisie, il n'entreprit cette traduction littérale qu'après plusieurs dizaines d'années passées à construire un dictionnaire hébreu-grec, indispensable pour reconstituer le texte hébreu sous-jacent à la version grecque des Évangiles. Avec l'abbé Carmignac, il partageait, en effet, la conviction qu'une version en langue hébraïque des Évangiles avait précédé le texte grec qui nous est resté. De même qu'il partageait avec lui et Mgr Robinson les mêmes certitudes concernant la date de leur rédaction et la primauté de l'Évangile de Jean.
Jacqueline Picoche pour www.librairiecatholique.com
Claude Tresmontant (1927-1997) était un philosophe et exégète catholique dont les travaux, portant sur l'histoire de la pensée chrétienne depuis ses origines hébraïques, ne sont pas de nature, en France du moins, à favoriser une grande carrière universitaire. Il a pourtant enseigné pendant de nombreuses années la philosophie médiévale et la philosophie des sciences à la Sorbonne et a été membre de l'Académie des sciences morales et politiques. On notera qu'on peut aujourd'hui télécharger sur internet plusieurs de ses oeuvres, dont les conclusions concordent avec celles de l'abbé Carmignac et de Mgr Robinson, mais qui ont fait grincer les dents à plus d'un exégète. Il n'est pas du goût de tout le monde, en effet, qu'un savant soutienne, avec de bons arguments, qu'il n'y a, ni ne saurait y avoir, de conflit réel entre les sciences expérimentales et le monothéisme ; que les Évangiles sont contemporains les uns des autres et remontent à la première génération apostolique ; que ce sont des dossiers de notes prises sur le vif au jour le jour par les disciples du Maitre, et rapidement traduits en grec, langue véhiculaire de tout l'Orient méditerranéen à l'époque ; que ce maitre, le rabbi Ieshoua soit, en grec Iesous et en latin Jesus, enseignait dans le dialecte populaire appelé araméen mais aussi en hébreu ; que les prêtres Juifs, restaient fidèles à l'hébreu, les textes saints ne pouvant être transmis que dans cette langue ; enfin, que le grec des Évangiles prouve surabondamment au profond connaisseur des deux langues qu'était l'auteur, qu'ils sont la traduction d'un original hébreu. Ce n'est pas un grec populaire ; c'est la langue de la traduction, plus ancienne, de l'Ancien Testament, dite des Septante . Le vocabulaire est classique, à part quelques néologismes forgés pour traduire des mots hébreux sans équivalent en grec, et la syntaxe est celle d'un mot à mot hébraïque, très différente de celle du grec classique.
Le présent volume rassemble, allégées de leurs savantes annotations, pour un public peu soucieux de détails érudits, les traductions qu'il avait antérieurement données des quatre évangiles. L'ordre des quatre textes n'est pas traditionnel. Jean a été placé en tête parce que c'est lui qui fournit le meilleur cadre historique . La préface, brève, mais d'une rare densité, exprime une idée qu'on peut résumer sommairement ainsi : L'Évangile est une sorte de message génétique destiné à faire passer le vieil homme , selon l'expression de Saint Paul, à l'état d' homme nouveau régénéré. Il s'agit d'une étape dans l'évolution humaine, d'une nouvelle Genèse. Alors qu'antérieurement, dans le règne animal, l'information créatrice est transmise par les gènes en toute inconscience de celui qui la subit, dans le cas présent, elle est confiée à la pensée, à l'intelligence et à la liberté de l'être créé . Il est donc de la plus haute importance qu'elle soit transmise de la façon la plus exacte possible. Or traductions sur traductions, de l'hébreu en grec, de grec en latin, de latin en toutes sortes d'autres langues qui s'entre-traduisent, engrendrent des approximations, des faux-sens, voire des contre-sens ou des non-sens. L'auteur nous livre donc ici une traduction mot-à-mot aussi proche de l'hébreu que possible, non ponctuée, avec des verbes en tête de phrase, qui change considérablement les habitudes de lecture du fidèle catholique. Mais que celui-ci mette le livre sur sa table de chevet. Que le matin, quand il lira les textes du jour, il ouvre le livre de Tresmontant et compare son texte avec celui de son missel... Il aura l'impression, tout d'un coup, de savoir l'hébreu et d'être en Palestine au temps du Christ.
Un exemple. la fin du Pater : Au lieu de "Ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal" il lira "Ne nous fais pas venir dans l'épreuve, mais arrache-nous à la main du méchant".
Relire l'Évangile avec l'impression de le lire pour la première fois, voilà une tentation à laquelle on peut succomber sans pécher !
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