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La revue de Max de Carvalho, La Treizième, est placée sous l'égide de Nerval, l'auteur des Filles du feu et des Chimères. Sous leur apparente simplicité, les titres des livres de Carvalho sont marqués eux aussi d'une extrême étrangeté : Adresse de la multiplication des noms, Ode comme du fond d'une autre réalité, Enquête sur les domaines mouvants, et aujourd'hui, plus déconcertant encore : Les Degrés de l'incompréhension.
Dans leur singularité, ces titres définissent un espace qui lui est propre : un espace où les mots sont incertains, où la réalité est chancelante, où les territoires sont mouvants, où l'intelligence se heurte à une croissante perplexité. Quand la quasi-totalité des écrivains se proposent de faire partager leur vérité sur le monde, sûrs de leur intelligence et de leur lucidité, Max de Carvalho n'a rien d'autre à offrir à ceux qui le liront que de descendre avec lui les degrés d'une perplexité sans cesse plus déroutante face à toutes choses : notre corps, les choses, la beauté, la souffrance, la mort.
Car il est vain et malhonnête de vouloir se dissimuler l'incompréhension radicale que nous avons de tout cela. Les vérités dont nous essayons de nous convaincre ne sont que de piètres mensonges qui ne nous trompent que parce que nous le voulons bien. Parce que nous n'osons pas affronter l'obscurité en face. Lisons le premier poème de ce livre : "Sans quitter ta demeure/ ni les tiens tu partiras / Sans t'éloigner tu connaîtras / l'éloignement, dans la plus / grande proximité l'exil, / la solitude en chaque chose / et sur toi ce regard".
Entrer dans l'incompréhension, c'est accepter une sorte d'exil par rapport au confort illusoire dans lequel nous sommes installés. La première partie a pour titre "Sélans", la seconde "Nous allons rompre le cercle". Car c'est bien de cela qu'il s'agit : rompre le cercle magique qui nous tient enfermés dans une fausse évidence, dans une aliénation radicale. Et pour cela accepter sans peur de descendre les marches qui nous mènent à l'inintelligence, à l'ignorance, à l'inconnaissance.
A la pauvreté d'esprit. Il y a dans la radicalité de cette démarche une parenté profonde avec la spiritualité du dadaïsme - et des écrivains du Grand Jeu : Daumal, Gilbert-Lecomte, qui en furent les véritables héritiers -, mais aussi avec la spiritualité franciscaine en ce qu'elle comporte d'exigence de pauvreté et d'humilité pour partager pleinement la fragilité de toutes les créatures. La dernière section de "Nous allons rompre le cercle" a pour titre "Le pouvoir d'apprivoisement du petit".
Et, certes, le sujet en est infime : une mouche, cette "mouche posée / sur la main qui / allait frapper". Presque rien. Interchangeable : "Je tue toujours / la même / mouche". Mais de la vie, de la souffrance, de la beauté. "Comme elle tourne sur / elle-même avant / de mourir la mouche !" Jusqu'à ce tout dernier poème, ultime "degré de l'incompréhension" : "la mouche que j'ai tuée / en sait à présent / plus long que moi".
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