"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
(Texte provisoire) Rome, milieu des années 1980. Goliarda Sapienza rencontre par hasard une ancienne co-détenue de la prison de Rebibbia. Entre l'écrivaine désormais âgée et Roberta, militante politique radicale et Lolita faussement ingénue, se cristallise des sentiments confus. Goliarda va nouer avec la jeune fille une relation passionnelle, quasi amoureuse, et retrouver à travers elle l'exaltation qu'elle avait connue durant sa détention. Ensemble, elles vont parcourir une ville - Rome - prise entre le poids de son histoire et la désolation de la modernité marchande.
Les Certitudes du doute dévoile aux lecteurs une nouvelle facette de Goliarda Sapienza, celle d'une femme éprise, qui fait des rues et des sous-sols romains le théâtre de ses émotions. Après Moi, Jean Gabin, qui narrait son enfance en Sicile, et L'Université de Rebbibia, récit de son séjour carcéral dans la prison de Rome, ce nouveau récit clôt le cycle autobiographique que Goliarda Sapienza avait intitulé Autobiographie des contradictions. Le texte, précieux pour les adorateurs de L'Art de la joie (on y découvre combien la personnalité sensible et généreuse de l'auteur a pu s'insuffler dans celle de son héroïne Modesta, et ce qu'elle a pu y fondre de désirs inassouvis et de soif d'absolu) est le témoignage d'un être qui n'a jamais cesser de remettre en question sa vie et le monde qui l'entoure. Ancrée dans son siècle autant que farouchement décidée à échapper aux embrigadements de toutes sortes, Goliarda nous donne une nouvelle leçon de vie.
Goliarda Sapienza (1924-1996) est née à Catane dans une famille anarcho-socialiste. Son père, avocat syndicaliste, fut l'animateur du socialisme sicilien jusqu'à l'avènement du fascisme. Sa mère, Maria Giudice, figure historique de la gauche italienne, dirigea un temps le journal Il grido del popolo (Le Cri du peuple).
Tenue à l'écart des écoles, Goliarda reçoit pendant toute son enfance une éducation originale, qui lui donne très tôt accès aux grands textes philosophiques, littéraires et révolutionnaires, mais aussi à la culture populaire de sa ville natale. Durant la guerre, à seize ans, elle obtient une bourse d'étude et entre à l'Académie d'art dramatique de Rome. C'est le début d'une vie tumultueuse. Elle connaît d'abord, très rapidement, le succès au théâtre, avant de tout abandonner pour se consacrer à l'écriture. S'ensuivent des décennies de recherches et de doutes, d'amours intenses. Son ouvre, complexe et flamboyante, laisse les éditeurs italiens perplexes et c'est dans l'anonymat que Goliarda Sapienza meurt en 1996. Elle ne trouve la reconnaissance qu'en 2005 avec le succès en France de la traduction de son roman L'arte della gioia (L'Art de la joie, éd. Viviane Hamy). Depuis, ses livres sont redécouverts en Italie. Les éditions Attila conduisent désormais la publication de ses ouvres complètes.
"Les certitudes du doute" font suite à "L'université de Rebbibia" (une prison pour femmes en Italie). Goliarda SAPIENZA retrouve une ancienne co-détenue, Roberta, prisonnière politique pour son action au sein des Brigades Rouges, avec qui elle avait partagée un moment sa cellule.
Comme attirée par les Bad Girls et le monde interlope, l'autrice déambule dans les recoins de Rome où la vie parallèle se joue, se roule et se déroule (drogue, action politique, prostitution, etc.) sans glauque ou trash. Elle semble, comme à Rebbibia une spectatrice extérieure, un peu comme une ethnologue, mais très attachée à Roberta (elles sont amantes si on lit entre les lignes). On comprend aussi que même si elle s'expose un peu, "la fumeuse alcoolique" comme l'appelle Roberta, ne risque pas grand chose de par son statut de bourgeoise écrivaine. Comme Marguerite Duras, Goliarda Sapienza semble effectivement avoir l'alcool quotidiennement présent dans sa vie (le whisky à jeun pour Goliarda).
L'écriture est fluide et belle, on est transporté dans une Rome inconnue, pleine de sens (bruit, couleurs...), dans une sorte de récit roman où là encore l'autrice nous prévient qu'elle ment. C'est tour à tour sombre, drôle, vivant, épique parfois, léger puis plus grave : tourbillonnant en un mot. C'est aussi une réflexion sociale et politique qui, pour une fois, mêle des points de vue différents liés aux générations (Goliarda a connu la guerre et le fascisme, Roberta a 24 ans et elle est dans le combat des années 80).
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"Ils ne faisaient - les vieux d'autrefois (et peut-être aussi ceux d'aujourd'hui) - que nous raconter des mensonges utopiques si bien qu'en fin de compte, toute la vie ne se réduit à rien d'autre qu'à lutter sauvagement pour démasquer leurs mensonges. Bref, tout cela est, je ne dis pas aberrant (parce que ce serait héroïque) mais plat et ennuyeux ! Ce n'est pas vrai qu'il me sera facile de supporter cet énième deuil - chers vieux sages - mère, père, oncle, professeur, Tolstoï ! Ce n'est pas vrai qu'avec les années ont devient détaché ou autre, ce n'est pas vrai, ceci, ce n'est pas vrai, cela, ni cela encore !... Tandis que je mastique sandwich et mensonges dans l'intention de les faire tous disparaître dans mon estomac, et de les digérer une fois pour toutes, quelqu'un me donne amicalement une petite tape sur l'épaule - je suis tellement occupée par ma rumination de chamelle affolée par la chaleur et la soif que je sursaute presque en pensant : c'est elle... la diablesse !" (p. 52)
"Toujours cette mauvaise habitude d'analyser, qui comme un moustique vous fond dessus alors qu'on fait l'amour et vous démolit ce beau moment qu'après tout est la vie, parce qu'à la barbe de toutes les philosophies du monde la vie n'est faite que de moments" (p. 65)
L’engagement politique de Goliarda Sapienza est affirmé, presque héréditaire (sa mère a été une militante socialiste assignée à résidence durant près de vingt ans). Dans ce dernier volet du cycle autobiographique de l'auteure, elle relate sa sortie de la prison pour femmes de Rome, la Rebibia.
Elle retrouve Roberta, connue en prison, pour qui elle a une attirance particulière, ayant toujours assumé sa passion pour les femmes (mais pas que !) ; nous sommes dans les années 80, ce n’est pas si commun d’assumer ce genre de position. C’est donc auprès de Roberta, dotée d'une « belle voix profonde, avec des chutes argentines de monnaie mélangées à des grondements telluriques » qu’elle va arpenter les rues de Rome, prendre des whiskys dans des bars et discuter à bâtons rompus d’engagement, de liberté, d’amitié et de tant d’autres choses. Elles se comprennent d’un regard, sans se parler, à tel point que « cette paix parfois les alarme ».
Lecture dense, parfois ardue, exigeante à tel point d’avoir failli abandonner en cours de route. Je me suis accrochée, finalement sans trop de mal, car cela reste malgré tout relativement fluide. On déambule dans les rues de la ville éternelle au même rythme que les pensées qui traversent l’esprit de son auteure, avec lenteur, douceur, incertitude mais aussi dans une certaine plénitude ; et finalement on est bien en sa compagnie.
Ce n’est certainement pas le livre le plus facile pour découvrir Goliarda Sapienza, mais ce serait dommage de passer à côté de cette écrivaine à la fois atypique et inclassable ; alors n’hésitez pas à vous plonger dans « Rendez-vous à Positano », bien plus accessible et empreint d’une poésie incroyable.
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