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Les lettres comptaient dans la vie de Thomas.
Cet homme qui avait choisi de vivre à l'écart des autres, qui avait avoué qu'il " aimait le délaissement - sans secours, sans affection " et qu'il " éprouvait aussi du bonheur à ne par laisser d'empreinte chez autrui tout comme à éviter ses confidences ", avait trouvé dans l'espace épistolaire une liberté qui lui permettait de rejoindre le monde. Contrairement à Kafka, pour qui les lettres furent un commerce entre fantômes, Thomas, semble-t-il, comptait sur ce lien pour affirmer une existence par ailleurs nullement fantomatique.
Il est exceptionnel d'avoir accès à une correspondance s'étendant sur une période continue de soixante-dix années et, de surcroît, à des lettres qui témoignent d'une manière aussi transparente de l'appréciation de l'amitié. Ces lettres sont d'abord une conversation de l'esprit, et souvent, cette conversation semble viser un auditoire au delà du destinataire de la lettre : " J'ai parfois l'impression de m'adresser à d'autres lecteurs en même temps qu'à toi ", écrivit-il à un de ses amis.
Sans doute l'aspect le plus remarquable du parcours de Thomas, lorsque l'on considère la période de l'histoire dans laquelle il s'est déroulé, réside dans son refus d'accepter le jugement nihiliste de l'époque prôné par ses pairs. Pour lui, humaniste convaincu, le désespoir représentait l'ultime mal : " Ce n'est pas vers l'ombre qu'il faut se tourner, mais vers un espace de lumière je suis persuadé que le grand, le seul crime - c'est le désespoir - quand la fine pointe de l'espoir (de l'espoir en rien, à l'état pur) n'est plus là - c'est vraiment le fil de la vie qui se rompt.
" " Mystérieux, secret, discret ", ce sont les mots dont la critique se sert habituellement à l'égard d'Henri Thomas. Espérons que ce choix de lettres jettera une lumière là où il y avait de l'ombre, en éclairant notamment la parenté de Thomas avec Herman Melville, un écrivain qu'il décrivait ainsi : " Un homme seul, aux écoutes de la terre et de la mer, et qui trouve au plus lointain, sur les confins du réel et de la fiction, ce qu'on peut nommer sa vérité, c'est-à-dire les grandes images où le drame personnel cesse d'être subi.
"
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