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Je voyage en France sans visa, juste un petit dossier médical. Ils savent, les Français, que je ne suis pas un terroriste, ni un islamiste de Daech ! Je suis Harys descendant du chien guide des sept dormants ! Je respecte la laïcité, les valeurs républicaines et je consomme de la bière Heineken.
Harys, le narrateur, est un bon chien, un caniche qui aime son maître, qui aime ses chaussettes puantes, son haleine parfumée au vin rouge, sa voix quand il chante Bécaud. Ils habitent tous deux à Alger et son maître a pour maîtresse une chrétienne réfugiée de Damas, au corps vibrant de désir et à l'âme bouleversée par la guerre. Ce trio bancal, cacophonique, passionné, tient le journal de sa lente destruction dans une Algérie rongée par l'islamisme des Tartuffes.
Magnifique, douloureux et fantasque, tel est L'Enfant de l'oeuf, neuvième roman d'Amin Zaoui où l'auteur, avec un plaisir et une méthode qui rappelle le Sade de La Philosophie dans le boudoir, s'en prend systématiquement à toutes les formes d'autorité, au nom de la liberté.
Dans une Alger qui s'islamise, Moul, diminutif de Mouloud, ainsi l'appelait Farida sa femme qui l'a quitté quelques années plus tôt, vit dans un appartement avec son caniche Harys. Il partage sa vie entre les visites chez la vétérinaire, fréquentes, car Harys est souffrant, Lara sa voisine, réfugiée syrienne, chrétienne qui monte souvent chez lui où ils font l'amour, souvent, régulièrement et la boisson, car Moul boit beaucoup de vin algérien, du whisky maltais et du café.
Moul et Harys se comprennent sans se parler, et pourtant, Harys, il ne lui manque que la parole, encore que...
Je finis volontairement par ces points de suspension, censés ouvrir un suspense terrible, qui laisse mes lecteurs pantelants. Eh bien, oui, en fait Harys, s'il ne parle pas, ben non, c'est un chien, s'exprime tout de même et il est le principal narrateur de ce roman. Roman que j'ai commencé dubitatif, car un chien-narrateur, ça me fait présager du pire. Mais que nenni, j'ai remisé très vite mes petites -je minimise, je ne vais quand même pas m'autoflageller sur le blog- arrogance et assurance, et me suis laissé embarquer par les phrases d'Amin Zaoui. Si je chipote un peu en regrettant quelques répétitions inutiles et autres procédés répétitifs et un peu trop systématiques, je n'ai pas boudé mon plaisir et je suis à deux doigts d'en faire un coup de cœur. C'est pour le moins un roman qui m'a plu tant par le fond que par la forme. Le fond d'abord qui parle de l'Algérie qui change, s'islamise, les femmes se voilent, les hommes ne tolèrent plus les dérapages, même pour Harys uriner sur un journal arabophone peut présenter un questionnement, car Harys urine sur des journaux que Moul dépose sur le balcon. La réflexion et le constat sont profonds sur le pays qui change, la religion qui mange les libertés, la Syrie en guerre, la radicalisation, le racisme, l'intolérance de la religion d'état envers les athées ou les croyants d'une autre religion. Moul ne se plie pas au règles de l'islam, il boit, fume, ne prie pas, ne respecte pas le ramadan, entretient des rapports avec une chrétienne, c'est Harys qui est comme la "bonne" conscience de Moul, celle qui lui dit quoi et comment faire selon les préceptes de la religion, qui parfois le questionne sur ses pratiques, mais il entend vivre et penser comme bon lui semble. Il faut dire pour le défendre que Lara est jeune, belle et vibrante de désir auquel Moul répond dans des paragraphes sensuels, chauds et vivants.
La forme maintenant. Amin Zaoui écrit par petites touches, un peu comme un abécédaire ou un dictionnaire : un mot ou une expression en avant et en gras et suit un petit texte en rapport. Parfois, ils se suivent, parfois non et c'est alors au lecteur de les lier, ce qui se fait très aisément. Une écriture simple et fluide, parfois très sensuelle, jamais vulgaire même lorsque Lara, qui ne porte jamais de sous-vêtement débarque dans l'appartement de Moul qui l'attend prêt, quasiment au garde à vous si je puis m'exprimer ainsi. Même si je n'ai pas toutes les références dans mes bagages, les noms des écrivains, poètes, prophètes ou musiciens cités par Amin Zaoui, ce n'est pas un souci pour suivre ce roman qui enserre le lecteur et ne le lâche qu'au bout, et encore, pas dit que Moul, Lara et Harys nous quittent sur le simple geste de tourner la page.
En voici le tout début, très court, juste pour initier le désir :
"Peau
Et je la serre dans mes bras comme un mythe vivant, Lara !" (p.9)
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