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Jean Pratou a quarante ans. Il est né de mère abusive et de père inconnu. Il n'a rien de remarquable. Il est invisible. Il est réglé comme du papier à musique. Il travaille et ne fait pas de vague. Il adore le Louvre dont il connaît intimement chaque tableau et chaque statue. Il vit seul avec un chat à trois pattes. Il est obsédé par une femme idéale qu'il dessine sur ses murs. Il n'a jamais aimé et n'a jamais été aimé. Jean Pratou va sauver l'humanitéâ!
C'est un roman qui débute comme une farce, une comédie avec un anti-héros dont on sent bien qu'il va lui arriver des aventures pas banales, ce qui ne l'est pas puisque lui-même l'est, banal, passe-partout, commun, quelconque, insipide... Le ton est léger, comme par exemple lorsque Jean Pratou veut demander un conseil à un collègue : "Je grimpe sur ma chaise pour voir ce qu'il fait de son côté du mur, si par hasard des lettres traînent sur sa table. Je le surprends la main dans le pantalon, un air visqueux aux lèvres, concentré sur les activités acrobatiques de deux blondes qui se déploient sur son ordinateur. Je baisse la tête vivement avant qu'il ne me surprenne. Je m'en voudrais vraiment de condamner ses choix esthétiques." (p.26) Ce qui rend ce passage drôle, c'est le langage soutenu pour décrire un événement trivial. Jean Pratou fonctionne comme cela, il n'a pas les codes de la vie en société, il vit seul, ne fréquente que son chat à trois pattes, Robert et Sehtou, le préposé au courrier d'avant Josette.
Et puis, Dorine Hollier, doucement, change de ton. Elle parle de la société de consommation, tant pour les biens que pour les services ou la culture si tant est que l'on puisse citer ce mot pour parler de certaines chaînes de télé. Le constat et la critique sont sévères et justes, comme cet animateur télé aux dents blanchies : "Mes chéris, mes amours, public adoré, merci d'être toujours fidèles à "l'émission qui dit tout" ! [...] Un tonnerre d'applaudissements m'assourdit de nouveau. Les gens sont debout, en révérence, ils hurlent mon nom, les bras tendus vers leur gourou..." (p.162/163). Ce besoin d'un homme à révérer, d'une idole n'est finalement pas si loin de la religion, d'une croyance aveugle en une entité ou en une personne... Brrr, ça me fait froid dans le dos.
"Pouf pouf, Dieu me tripote" comme disait Pierre Desproges, revenons à ce roman qui devient quasiment une tragédie dans son final, un peu longuet, mais toujours de bonne tenue. J'ai beaucoup aimé, c'est assez rare de passer de la comédie au tragique en 300 pages avec autant de plaisir de lecture. Dorine Hollier a su créer un personnage insignifiant, certes, mais très attachant, et qui paradoxalement, fait partie de ceux que l'on n'oublie pas facilement.
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