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Santiago Amigorena, après Une enfance laconique et Une jeunesse aphone, après Une adolescence taciturne, poursuit la saga de son autobiographie. On se souvient que le troisième tome s'en déroulait en France où ses parents argentins s'étaient exilés, nouvel exil, plus profond, plus grave que l'exil uruguayen du tome précédent, l'enfant se retrouvant ici, avec sa mère et son frère, ses parents s'étant séparés . Changement de continent et d'hémisphère, de climat, de moeurs et, surtout, de langue. C'était un choc frontal et total où rien de ce qui faisait ses habitudes, ses références, ses manières de ressentir et de penser n'était ménagé. Et cela au pire des moments, peut-être, dans une vie, puisqu'il se produisait à l'adolescence.
Dans ce nouveau tome, l'auteur a sauté quelques années (sur lesquelles il reviendra ultérieurement), et nous amène directement au moment de son premier amour, de son véritable premier amour. Nous le retrouvons donc à la fin des années 1970, en hypokhâgne au lycée Fénelon, lequel vient de tout juste s'ouvrir à la mixité : il est seul au milieu de trente-deux filles toutes, ou peu s'en faut, amoureuses de lui qui reste toujours aussi taciturne, inatteignable semble-t-il... Parmi elles, Philippine, qui attend son heure. Le moment venu, assez vite, commence une fête amoureuse d'une année où les sens, les sentiments et la littérature se conjuguent pour produire un bouleversant feu d'artifice érotique, un véritable hymne à la jeunesse des corps et des esprits, et tout à la fois à la richesse de la langue.
C'est que cette aventure est inséparable de l'écriture. A aucun moment, le narrateur ne cessera d'écrire, y compris pendant l'amour, il écrira littéralement sur le corps de la bien-aimée qu'il détaille et décrit dans tous ses états, sur le motif en quelque sorte, et aussi dans les rares intermittences de l'étreinte générale et ininterrompue que sera cette année folle de découverte, d'exploration, d'exaltation.
Le texte qui en rend compte est lui-même d'une inventivité, d'une drôlerie, d'une splendeur lyrique enthousiasmantes : il se plie à toutes les inventions graphiques, à toutes les incises, les détours et les ruses d'un amour fou qui ne cesse de s'accomplir, de grandir, de s'épanouir, de s'imaginer-réaliser. Il mêle la langue aux langues, la grammaire aux caresses, l'étymologie aux embrassements. C'est un festin auquel nous sommes conviés, une orgie de mots et de phrases, de bonheur.
Santiago Amigorena réussit par la seule présence de son écriture à donner une dimension quasiment mythique à ses émois. Riche, rythmée, sensuelle, la phrase ne cesse de fouiller au coeur des sentiments et des sensations, puisant aussi en elle-même, dans ses incroyables et exaltantes circonvolutions et inventions formelles un humour, une drôlerie qui tout en semblant la miner en assurent, pour le plus grand bonheur du lecteur, la poursuite et le développement.
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