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Septembre 2018. Paul, assistant-qualité, vide l'usine bretonne. Cinquante ans d'histoire partent à la benne. À Plaintel, on a fabriqué des masques à perte de vue : des masques de protection, des masques respiratoires, des sexys et des becs de canard. Alors que la fermeture semble inéluctable, c'est la vie entière de Paul qui tangue : ses enfants ayant quitté le nid, son épouse s'absente le soir pour rejoindre de nouveaux amis.
Quand Paul découvre sur Facebook un appel à se rassembler sur les ronds-points, il se lance dans l'aventure, prêt à faire corps avec ces gens qui souffrent, comme lui, depuis trop longtemps. Sur la départementale, il y a un monde fou, ça klaxonne, ambiance bon enfant. Paul retrouve son copain syndicaliste Dédé et croise Zozo le zingueur, une Fée et une Duchesse, des hommes et des femmes hauts en couleur, décidés à reprendre leur destin en main. Au point de donner à Paul la force de se battre pour la réouverture de son usine.
Dans ce premier roman, Étienne Longueville raconte de manière épique l'histoire de l'usine de Plaintel, de ses ouvriers confrontés à une fermeture. Paul et ses amis tentent de survivre, côtoient les Gilets jaunes, traversent le confinement du printemps 2020, moment propice aux initiatives surprenantes... Car ces figures attachantes, pleines d'humour, révélatrices d'une France qui galère mais ne rend pas les armes, sont surtout des « braves », enfin prêts à exercer leur pouvoir.
On les appelle les romans d’entreprise , ces récits consacrés aux transformations douloureuses auxquelles sont confrontés les salariés d’entreprises délocalisées , détruites , anéanties par le cynisme d’actionnaires cupides ou par l’imprévoyance des gestionnaires .Nathalie Kuperman dans Et pourtant nous étions des êtres vivants , a restitué la souffrance des salariés d’un laboratoire , promis à la fermeture .Dans Ils désertent de Thierry Beinstingel , c’est le management moderne qui est dénoncé, l’impératif de virer les anciens, forcément archaïques et dépassés…Isabelle Stibbe, sans être issue du milieu ouvrier, a su décrire les derniers soubresauts d’une fonderie et les espoirs des sidérurgistes de Lorraine de voir se ranimer un jour la flamme des hauts fourneaux dans son roman Les Maîtres du printemps.
Étienne Longueville, dont c’est le premier roman, s’inscrit dans cette belle série ; il décrit le sort des salariés de l’usine de Plaintel, fermée en septembre 2018. Cette usine, nous dit l’auteur, dans la postface du roman, est imaginaire ; le récit s’inspirant de l’histoire de l’Usine Giffard ouverte à Plaintel en 1974.
Pourtant, on croit dès l’abord à la réalité de ces personnages, à leur épaisseur humaine, à leur souffrance. La douleur d’assister à la démolition en direct des machines, sur lesquelles le personnage du roman a travaillé, est là : « Ce sont notre savoir-faire, nos heures de boulot, tout l’engagement des ouvriers bretons à concevoir et qualifier ces machines. Le bruit des tronçonneuses, c’est le son de notre défaite ; Quarante années de travail foutues en l’air par les gamins du coin qui détruisent un pan de l’industrie locale sans s’en rendre compte. »
Paul dispose de quelques loisirs forcés à la suite de la perte de son travail, il découvre les Gilets jaunes sur les ronds-points, il recouvre une fraternité, une chaleur humaine, le sens de l’amitié. Il se lie avec des personnages baroques, originaux tels que La Fée ou Zozo, des individus pris dans la tourmente de la transformation du monde, eux aussi. Paul participe aux manifestations et prend la mesure de l’injustice et de l’arbitraire dont sont victimes les mouvements qui osent se dresser contre l’ordre établi : « Où est la justice ? On sanctionne les casseurs de ronds-points pourquoi pas les broyeurs de machines et les pilleurs d’outils ? »
Situé entre 2018 et 2020 , le roman d’Étienne Longueville embrase la période comprise entre le déclenchement du mouvement des Gilets jaunes et le début de la pandémie du Covid-19 .Paul , le personnage principal, s’interroge sur le monde d’après , sur la justice et sa place dans la société .Il est amené à se prononcer sur plusieurs possibilités de redémarrage de l’entreprise , qui fabriquait des masques …Le besoin de ces derniers est criant dans les premiers mois de la crise sanitaire, ce qui redonne de l’espoir à Paul .
Paul lutte contre la fatalité, la résignation automatique complaisamment véhiculée par certaines classes dirigeantes, il entrevoit une issue, peut-être porteuse d’un espoir ténu, à défaut d’être radieux ; c’est cela, le pouvoir des braves : nourrir ses espérances par une lueur, aussi infime soit-elle. On pense à la chanson de Bernard Lavilliers, extraite de la chanson les mains d’or, évoquée par dans ce roman émouvant et vériste :
J'voudrais travailler encore - travailler encore
Forger l'acier rouge avec mes mains d'or
Travailler encore - travailler encore
Acier rouge et mains d'or
J'peux plus exister là
J'peux plus habiter là
Je ne sers plus à rien - moi
Y'a plus rien à faire
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