Des romans, livres de recettes et BD pour se régaler en famille !
Semezdin Mehmedinovi? a la stature d'un écrivain classique moderne. Sa perception du langage est si fine et si puissante que la moindre de ses observations est une odyssée au coeur du genre humain.
Mehmed aurait dû mourir à cinquante ans d'une crise cardiaque. Grâce à sa femme, Sanja, les secours arrivent à temps. Il devra cependant suivre un traitement qui pourrait altérer sa mémoire. Lui qui un jour a dû fuir son pays et y laisser une partie de son passé ne peut supporter cette idée. Il décide de se rendre avec son fils à Phoenix, Arizona, la ville où ils se sont réfugiés vingt ans plus tôt afin d'y consigner ensemble leurs souvenirs.
Dans ce texte inspiré par la vie de l'auteur, la guerre, l'exil et la maladie malmènent des personnages inoubliables que l'amour et l'art sauvent à jamais du désastre.
Un très beau livre sur l'épreuve, les épreuves de la vie face à la maladie, à la perte de mémoire, à l'amour.
"L'amour est une forme d'oubli"
Une écriture très épurée à travers son vécu sur la famille, les départs, l'exil, le passé et la mémoire.
Humanité d'une vie à deux, que nous laisse notre mémoire
"J'ai aimé ma femme dans tous ses corps"
des phrases très belles, poétiques nous captent dans ces moments présents et passés.
La toute jeune maison d'édition le Bruit du Monde, aux horizons méditerranéens ouverts sur l'altérite, vient de publier le premier titre traduit en français de l'auteur bosnien Semezdin Mehmedinović : plus largement publié en anglais, il a vécu près de vingt ans aux Etats-Unis après avoir fui la guerre dans ce qui était encore la Yougoslavie. Aujourd'hui, il serait de nouveau installé à Sarajevo. Malgré ses vingt années d'exil, c'est en bosnien qu'il a continué d'écrire, on retrouve d'ailleurs dans le texte un passage où il explique fermement son refus d'utiliser l'anglais comme langue d'écriture. C'est le premier titre de cet auteur qui nous parvient en français, profitons-en. D'autant qu'il était coiffé d'un bandeau, que j'ai eu vite fait de perdre comme d'habitude, de Paul Auster. L'auteur américain y présente son homologue bosnien comme le nouvel Hemingway, rien que cela.
Que Paul Auster aimé ce titre ne m'étonne guère : moi-même appréciant beaucoup l'oeuvre de l'Américain, j'y ai retrouvé beaucoup de son style, des thèmes qu'il aime traiter dans ses livres, dans ce travail de la mémoire, qu'effectue l'auteur d'un bout à l'autre du titre. Et ce style très voluptueux, si doux, si envoûtant qui m'a subjuguée. C'est un titre qui prend la forme d'un journal qui démarre par la crise cardiaque de Semezdin en 2010, qui s'achève par la convalescence de son épouse, Sanja, victime d'un AVC en 2015. Il est le récit du cheminement d'une maladie à l'autre, par le biais d'une échappée aux côtés du fils dans le désert, sur une vie américaine. Mais c'est un récit toujours doublé par les souvenirs qui resurgissent, ici et là, un écho du passé au présent, un syndrome post-traumatique encore si vivace vingt ans après la guerre, dans une contrée étrangère. C'est le récit inspiré de l'auteur, Semezdin Mehmedinović.
Le passé de l'auteur n'est pas simple, c'est celui de la guerre, de la fuite en avant. Son écriture se déploie autour de cette mémoire qui s'évapore à travers la maladie, qui revient, par vague, lors de moments présents qui rappellent un passé brûlant, encore en cendres. Sarajevo hante ce récit, sa guerre n'en finit plus, elle reprend, encore et encore à travers cette mémoire récalcitrante, celle de Semezdin, qui n'en fait qu'à sa tête. J'ai été sensible à cette façon d'aborder un passé à vif, éprouvant, à travers les aléas d'un présent paisible, chamboulé par les affres de la maladie. Une autre guerre commence. Si les corps du couple Semezdin-Sanja sont concrètement sur le sol des Etats-Unis, l'âme est, sans aucun doute, restée dans ce qui est devenue leur pays, la Bosnie : les amitiés y sont presque toutes slaves, les uns et les autres, se rencontrent, s'attirent comme des aimants, tout inconnus qu'ils soient dans ce pays d'exil.
Si le contenu est passionnant, cette alternance entre moments qui essaient de capter un présent insaisissable et souvenirs de cette Sarajevo lointaine, le style est aussi élégant, l'exercice de cette narration entretient cette mémoire sous diverses formes, y compris celle du lecteur : répétitions de phrases, de phases, qui ont pour but de mettre en exergue, par exemple, la répétitivité agaçante du personnel hospitalier et de son fonctionnement typiquement américain : éviter les erreurs, donc les procès à tout prix et ces dédommagements financiers à un nombre de zéros incalculables. Si Harun, le fils du couple est photographe, fige tous les moments sur le disque dur, le père choisit d'emprunter à l'art cinématographique pour donner au lecteur ces sensations de répétition qui l'agacent, ces flash-back incessants. En visitant les villes qu'il a habitées dans l'état nord-américain, on ressent cette volonté de tout fixer dans un instant éternel, sans passé, ni futur, d'abolir le temps, et c'est ce qu'il fait, dans un certain sens à travers son acte d'écrire, qui fixe sur papier et pour l'éternité ces instants de vie, en capturant leur fugacité. Évacuer la violence de ces moments vécus à Sarajevo, de ces canons de kalachnikov pointés sur vous qui ne s'effacent jamais.
Cela va sans dire que ce roman restera comme une belle lecture, son auteur une révélation remarquable : j'espère vivement que le reste de son oeuvre sera traduit. Semezdin Mehmedinovic met en évidence à quel point Sarajevo fut destructeur pour la population Yougoslave, les bosniaques, musulmans en particulier. La fuite du pays, de la guerre, sans même pouvoir se retourner, induit logiquement, lorsque celle-ci est suffisamment derrière, et dans ce cas-là cela un océan les sépare, un retour sur ce passé. La Yougoslavie se reconstitue un peu dans ces États-Unis, au gré des rencontres de Semezdin avec slovènes, croates, dans ces souvenirs, en même temps qu'ils reconstituent leurs souvenirs, et cette relation père-fils. le texte de l'auteur bosnien m'a aussi permis de connaître certains noms de la littérature yougoslave, le poète bosnien Iljia Ladin, le poète slovène Tomaz Salamun, Ali Podrimja, des noms de son pays d'autrefois, éclatés et répartis désormais entre leurs diverses nationalités.
Semezdin Mehmedinovic entrelace ses souvenirs de ses impressions douces-amères, ce texte est un mélange inégalable entre deux pays distincts, deux cultures, le goût du propolis, l'odeur du « parfum âcre des plantes alpines » au beau milieu de l'Arizona et de l'Utah. Où la Slovénie fait soudain irruption en plein désert américain, le temps d'un coup de fil. Et cette sensation d'être déraciné, pour toujours. Désormais, l'auteur est de retour chez lui à Sarajevo, je serais curieuse de connaître ses impressions de retour d'exil, dans la ville bosnienne. Peut-être aurons-nous la chance d'en avoir connaissance, un jour.
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Dernière réaction par Yannis Fardeau il y a 5 jours
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