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Sommes-nous vraiment libres de choisir notre destin ?
Suite au décès de son père, victime de la maladie d'Alzheimer, l'écrivain Adrian Hope accompagne sa mère dans un centre de remise en forme. Celui-ci est situé dans le petit village de Maurenberg, en zone transalpine, dans un pays qui pourrait ressembler à la Suisse. Un hôpital jouxte le centre. On y accueille des personnes malades désirant mettre fin à leurs jours avec la présence ou non de leur famille, de leurs amis et le soutien de la communauté médicale.
Bientôt, un docteur prend contact avec Adrian Hope. Une certaine Clara Weiss, jeune et riche psychologue, fait partie de ses lectrices et l'a reconnu. Atteinte d'un cancer du cerveau elle va entamer à Maurenberg le séjour d'une semaine au maximum au cours duquel elle pourra se donner la mort à tout moment. Et pour ce dernier voyage, elle souhaite être accompagné par Adrian Hope, qu'elle ne connaît que par ses livres. Pour l'écrivain, c'est une occasion unique de vivre une expérience qui pourrait nourrir son imaginaire. C'est aussi un rôle de voyeur dont il devra assumer les conséquences.
Durant ces quelques jours il sera confronté au libre choix du suicide de Clara Weiss. Va-t-il chercher à la convaincre de renoncer ? Va-t-il la mener jusqu'au bord de la falaise sans en subir lui-même les répercussions ? Le huis clos qui les place face à face les mettra tous les deux à rude épreuve, mais sera aussi un parcours de vérité. Lorsqu'on n'attend plus rien de la vie, on peut montrer ses sentiments à nus. Et Clara Weiss est une personnalité forte et attachante, fermement décidée à mener son destin comme elle l'entend.
Au bout du compte, rien ne se passera comme prévu. Car, bien qu'isolés dans une bulle hors du temps, la pression sociale, celle des amis et des médecins vont peser sur ce couple improbable. Aucun des deux n'en sortira indemne.
Les rebondissements et le style d'écriture, proches de l'univers du polar, tiennent le lecteur en haleine jusqu'au dénouement et l'amènent à s'interroger sur le droit à mettre fin à sa propre vie.
J’ai toujours peur en entamant ce style de roman, peur qu’il tombe dans le pathos, dans la noirceur absolue ou dans la lourdeur du sujet qu’il traite. Hors ici il n’en est pas question une seule seconde.
« Cependant, se suicider pour des raisons médicales relevait d’un processus que la plupart des sociétés envisageaient douloureusement. Bon Dieu, nous étions là pour nous reproduire, pas pour nous éliminer. Les guerres servaient à cela et devaient suffire à étancher notre vampiresque soif de sang. Partir au casse-pipe sous la bannière patriotique n’engendrait pas d’états d’âme chez les responsables politiques. Mais autoriser n’importe qui à se faire sauter la cervelle, c’était contre nature. Cela revenait à abdiquer une part du pouvoir collectif au profit de l’individu. Peu de pays avaient franchi le pas. »
J’avoue avoir eu un peu de mal à rentrer dedans à cause du style argotique et très (trop) imagé de l’écriture de Jean-Louis Le Breton. C’est le premier roman que je lis de cet auteur et je ne saurai dire si ce langage est accentué volontairement dans ce roman en particulier, dans le but de ne pas sombrer dans un trop-plein de sentiments dans lequel il serait facile de s’engouffrer étant donné le sujet. Toujours est-il que les 80 premières pages ont été un peu difficiles pour moi, j’ai un peu lutté pour continuer. Mais j’ai eu raison de poursuivre car à partir de là, et ce jusqu’aux dernières lignes, tout fut très bien mené.
« Il y avait des règles, des codes, une procédure à respecter. On n’entrait pas ici le flingue à la main pour se tirer une prune dans le crâne et se laisser emporter par le service des pompes funèbres. »
Les écrits parfois crus sont adoucis grâce à des passages assez poétiques mais jamais mielleux. J’ai accompagné Adrian Hope et Clara Weiss dans leur découverte de l’un à l’autre, dans les doutes, les espoirs, les revirements de situation, la compréhension de l’autre, les tiraillements, l’empathie, la douceur. En effet, le roman rejette totalement le pathos mais il n’est pas dénué de sentiments pour autant, bien au contraire. Dans l’écriture très masculine percent de nombreuses échappatoires attendrissantes.
« Votre présence auprès d’elle lui est d’un grand réconfort. Elle vous a désiré à ses côtés et vous êtes venu. Mais au bout du compte, elle seule tient son destin en mains. N’endossez pas trop de responsabilités, morales ou affectives. C’est un chemin de croix, mais c’est elle qui porte la croix, pas vous… »
Le personnage d’Adrian Hope évolue constamment tout au long de l’histoire, il passe par toutes les émotions et ne sait plus à quel saint (sein ?) se vouer. Ses certitudes volent en éclats et se dispersent dans l’appartement médicalisé qu’il partage avec Clara Weiss. Dans ce presque-huit clos se construit une relation particulière et intense entre un homme et une femme, entre un auteur et une lectrice, entre un accompagnateur et une malade qui a choisi de mettre fin à ses jours dans une semaine.
« Le monde était une belle saloperie et toutes les fleurs ne pouvaient s’épanouir sur ce fumier. Pas la sienne, en tout cas. »
Il faut bien avouer que le suicide assisté est un sujet assez lourd pour lequel certains d’entre nous peuvent avoir une idée bien arrêtée. Mais ce roman creuse au plus profond de notre âme, nous oblige à nous mettre dans la peau de l’autre, de comprendre ses états d’âme, de s’ouvrir. Et quand nous pensons en connaître le dénouement, croyant que les dés sont jetés, que la pilule sera avalée ou peut-être bien balancée aux ordures, nos certitudes s’écroulent et laissent place à un renouveau, à un évènement qui pourrait bien changer la donne.
« Deux paumés. Voilà ce que nous étions à ce moment précis. Deux enfants dans la tourmente, ne sachant plus quel sens donner à nos vies. Quelle direction fallait-il suivre ? »
J’ai été surprise et transportée pendant la lecture de ce roman qui est tout sauf insipide et convenu. Il ne peut nous laisser indifférent, il remue et nous pousse à la réflexion. Et c’est avec le cœur serré que je l’ai refermé, mais je ne vous dirai pas de quelle façon. Je vous laisserai découvrir quel choix final a fait Clara Weiss et comment la vie d’Adrian Hope s’en retrouve chamboulée à jamais.
Ma chronique sur mon blog : https://ducalmelucette.wordpress.com/2016/05/30/lecture-le-libre-choix-de-clara-weiss-de-jean-louis-le-breton/
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