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Je ne me rappelle pas avoir vu mon père avant l'âge de onze ans sauf à de rares occasions. D'un seul coup, j'ai vu ce type arriver à table tous les soirs du moment où nous avons déménagé dans la maison qu'il avait décidé de faire construire ; ma mère n'avait pas eu grand-chose à dire dans ce choix, comme d'habitude. Pourtant, nous étions souvent ensemble durant toutes ces premières années dans l'appartement des Rives du Lac.
Le lac était à deux kilomètres. Un petit étang artificiel créé par la ville quelques années auparavant où des pêcheurs esseulés s'évertuaient à sortir du gardon. Mais je n'existais pas pour lui. J'étais sa chose. On ne parle pas aux choses. On leur passe à côté sans rien leur dire. On ne les touche surtout pas. Mon frère, lui, recevait des hurlements et des claques. Il existait. Durement. Il ne s'en est jamais remis, je crois. Il est aujourd'hui sous neuroleptique et somnifère. Comme moi. S'il ne prend pas ses médicaments, il entend des voix, qui lui disent de faire des choses. Je crois qu'il est schizophrène, mais il ne faut pas le dire. C'est un secret de famille, il ne faut pas en parler. Il y a beaucoup de secrets dans notre famille. Comme dans toutes les familles ?
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