Ce récit, alliant réalité et fiction, nous emmène plus de cent ans en arrière dans une famille juive alsacienne.
En 1894, Rosa Bloch-Debré, jeune fille brillante, quitte son village de Balbronn pour enseigner en Turquie. Elle a 18 ans et la volonté de voler de ses propres ailes. Quatre ans plus tard, elle démissionne subitement, puis part à Paris, loin de ses parents, où elle devient préceptrice. En 1920, elle est internée dans un asile psychiatrique à Villejuif. Elle va y passer 49 ans, enfermée jusqu'à sa mort en 1969, à 93 ans. C'est à ce moment seulement que Michel Horvilleur découvre l'existence de sa grande tante.
Que s'est-il passé pour expliquer ce cruel destin d'une femme qui semble avoir été rejetée, bannie, jusqu'à l'effacement de sa mémoire dans les récits familiaux ?
Au-delà des questionnements, s'affirme la volonté de l'auteur de redonner vie à Rosa, en y incluant, pour combler le douloureux silence et conjurer la condamnation à l'oubli, une large part d'imaginaire et de rêve. Il remet de la lumière, de la couleur et de l'espoir dans cette histoire sombre, partiellement effacée.
Ancien médecin installé à Epernay, Michel Horvilleur s’attache dans Le fantôme de Rosa à déchiffrer l’histoire de sa famille paternelle… et notamment celle de sa tante Rosa, l’aînée des 8 enfants qui constituait la famille Bloch, établie en Alsace, et dont toutes les traces de l’existence ont disparu…
Les arrières grands-parents de l’auteur, nés au milieu du XIXème siècle, sont d’origine juive et se sont installés en Alsace. La religion joue un rôle très important dans la famille, tout comme l’enseignement qui est la profession du père. Douée, indépendante, leur fille aînée Rosa part en Turquie pour enseigner à l’école des filles d’Andrinople. Elle y réussit, mais soudain sa vie semble prendre un tournant particulier :
"En 1898, brutalement, Rosa démissionne. Dans sa lettre à ses employeurs, elle justifie sa décision par sa volonté d’apporter son aide à sa mère, épuisée. Pourtant, à peine de retour en Alsace, elle part pour Paris. La petite juive alsacienne s’y installe en pleine affaire Dreyfus. Tout cela constitue un CV qui ferme plus de portes qu’il n’en ouvre. Elle occupe des postes successifs de préceptrice, pendant vingt ans, dans la bourgeoisie juive parisienne, dont le dernier chez un gynécologue de renom, le Dr Godchaux, rue Soufflot. Pendant toutes ces années, elle est, semble-t-il, interdite de séjour à Strasbourg pour une raison non précisée. Elle vit à Paris dans une grande solitude. En 1920, elle bascule dans un délire. (…) Son enfermement à l’asile, à Villejuif, va durer quarante-neuf ans, de 1920 à 1969, date de sa mort. C’est long comme convalescence, après une bouffée délirante…"
Devant ce secret, l’auteur mène l’enquête mais rapidement, il se rend compte que peu de documents sont disponibles ; le visage de Rosa a été découpée dans des photos de famille, son dossier à l’asile est vide, et sa tombe laissée à l’abandon. Qu’a-t-il pu se passer ? Le parti pris de l’auteur est donc de s’adonner à des « rêveries », en imaginant Rosa parler de sa vie dans un « cahier noir » et nous faire part de son hypothèse ayant conduit à la condamnation de la jeune femme…
Si j’étais un peu sceptique sur la structure du livre, je dois dire que je me suis laissé embarquer par l’histoire de la vie de Rosa. Après une première partie consacrée à présenter le cadre familial et le désir d’enquêter, une seconde au carnet noir, la troisième est un exercice libre oscillant entre entretiens fictifs et mise en perspective du destin des jeunes femmes à l’époque. Je ne vous en dirai pas plus !
Très bien écrit, ce livre est également un témoignage très vivant d’une époque désormais lointaine, où la religion, le patriarcat dominaient ; une époque marquée par les guerres qui décimaient les familles, surtout dans cette région ; et où la condition féminine était toute autre qu’aujourd’hui.
https://etsionbouquinait.com/2023/04/19/michel-horvilleur-le-fantome-de-rosa/
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