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Lima, 1904. Deux jeunes bourgeois épris de littérature partagent la même passion pour l'écrivain Juan Ramón Jiménez. Frustrés de ne pouvoir se procurer le dernier recueil du célèbre poète espagnol, ils se décident à lui écrire en se faisant passer pour une admiratrice du nom de Georgina Hübner. D'un simple canular naîtra une correspondance entre le futur prix Nobel de littérature et cette muse singulière. Histoire d'une vaste supercherie, entre fresque historique et fantaisie littéraire. Inspiré d'une anecdote réelle, le roman de Juan Gómez Bárcena nous plonge dans le quotidien tumultueux de la capitale péruvienne alors marquée par la crise, les grèves prolétariennes et la répression policière. Au milieu de ce chaos, deux apprentis poètes en quête de reconnaissance cherchent pourtant leurs mots... Un récit plein d'ironie dans lequel se dresse un subtil tableau de la société liménienne du début du XXe siècle.
C'est le premier roman de Juan Gómez Bárcena traduit en français qui à partir d'un fait réel bâtit une fiction réjouissante et fine. De la réalité historique avec la vie liménienne d'il y a un siècle, la révolte des dockers, les jeunes oisifs qui se baladent avec des costumes à 80 sols, qui ne rêvent que de littérature et, au moins l'un d'entre eux qui comprend la vie des plus pauvres qui ne touchent que 2 sols par jour et alors qu'une demi miche de pain coûte 1/2 sol... De l'amitié, de la bohème -avec quand même les parents qui régalent-, de l'amour, des bordels, des soûleries et de la littérature. C'est aussi et surtout, un roman dans le roman, dans lequel les personnages se posent des questions sur leurs rôles : "Il s'imagine prisonnier de ses pages, contraint de faire tout ce que la narrateur lui demande de faire. Son pire cauchemar : jouer les homos dans le roman de José, découvrir qu'il l'est simplement parce que le narrateur exige qu'il le soit." (p.270) Juan Gómez Bárcena intervient assez souvent en tant qu'auteur pour parler de création littéraire, pour faire un saut dans le temps et prévoir ce que pourraient devenir ses personnages, pour faire un pas de côté dans son roman, nous sortir de son histoire, nous montrer qu'elle n'est que fiction mais que la fiction pourrait être réalité, pour donner son avis "C'était un bon médecin, capable d'éclisser une jambe cassée, de combattre la malaria et de neutraliser le venin d'une piqûre de serpent, mais il n'avait aucune notion de psychologie. Par ailleurs, à quoi aurait bien pu lui servir ce genre de connaissances à la fin du XIXe siècle alors que l'esprit humain était encore considéré, tout au plus, comme un appendice de la biologie ? S'il ne voyait donc pas de troubles de l'anxiété dans ces crises de larmes, c'était simplement parce qu'ils n'avaient pas encore été inventés..." (p.43). Enfin, bref, un exercice brillant où à tout moment on bascule de la fiction aux remarques de l'auteur et vice-versa, que j'ai beaucoup aimé. L'auteur part d'une anecdote réelle, invente une vaste supercherie littéraire dans laquelle on se régale. Il joue sur tous les registres, c'est enlevé, drôle, ironique, sarcastique, mais aussi très sérieux et historique, littéraire... Et au fil des pages, on apprend comment selon certains doit se construire un roman, quels types de personnages, les rôles primaires et secondaires... à quel moment un rebondissement doit survenir... C'est là que je parlais de roman dans le roman, une mise en abyme.
Bref, une très belle découverte et donc belle idée des éditions Baromètre que de publier ce texte jouissif et épatant, fin, élégant et malin.
A Lima en 1904, José et Carlos sont deux jeunes gens riches qui « se croient poètes » et « rêvent d’être Juan Ramón Jiménez », poète espagnol (1881-1958), futur prix Nobel de littérature en 1956.
Les deux amis, qui n’arrivent pas à se procurer le dernier recueil de leur idole, se décident à écrire au Maître pour qu’il daigne leur envoyer son ouvrage, mais, pour être certains de recevoir une réponse, se font passer pour une jeune admiratrice répondant au doux prénom de Georgina.
Le temps d’un trajet aller-retour en transatlantique, leur courrier fait mouche et les deux compères obtiennent le recueil tant convoité. C’est alors que leur vient l’idée d’entretenir la correspondance entre Georgina et Jiménez, dans l’espoir de faire de celle-ci la muse de celui-là et de lui inspirer un poème dont ils seraient à la fois les instigateurs et les destinataires. Mais pour susciter l’intérêt (et plus si affinités) du Maître, il faut donner de la consistance à Georgina, lui donner corps et âme à travers ses lettres. C’est là que les ennuis commencent, José et Carlos ne se font pas la même image de Georgina, José la voyant passionnée et audacieuse, Carlos la rêvant romantique, sage et cérébrale. Chacun projette en Georgina les souvenirs de ses premières conquêtes féminines, ou peut-être ses propres désirs. Le stratagème fonctionne néanmoins pendant deux ans, mais les divergences de vue entre les deux amis deviennent ingérables et menacent de faire échouer le projet. Et qu’arriverait-il si Juan Ramón tombait finalement amoureux de Georgina et décidait de faire le voyage jusque Lima ?
Voici une amusante fantaisie littéraire (inspirée d’une anecdote réelle), dans laquelle deux aspirants poètes créent un personnage fictif qui entretient une correspondance réelle avec un auteur réel, et qui se voient contraints d’inventer le « roman » de Georgina pour la rendre réelle et crédible, tout cela dans le but d’inspirer une nouvelle œuvre à leur auteur fétiche.
Mais « Le ciel de Lima » n’est pas qu’une mise en abyme littéraire, c’est aussi l’analyse de l’opposition des tempéraments de Carlos et José. Ils sont tous deux membres de la fine fleur de la bonne société liménienne, mais l’un est issu d’une famille de nouveaux riches et l’autre d’un lignage ancien tout aussi riche, et ils oscillent entre complexe d’infériorité et arrogance.
Sur fond de grèves et révoltes ouvrières et de répressions policières brutales, « Le ciel de Lima » brosse le portrait subtil et ironique d’une époque, d’une ville et de sa classe supérieure, certaine de conserver ses privilèges quoi qu’il advienne.
Ce premier roman, publié en Espagne en 2014, est une agréable découverte.
En partenariat avec les Editions Baromètre.
A Lima en 1904, deux jeunes bourgeois se piquent de littérature et de poésie. Pressés de se procurer l’introuvable dernier recueil de leur maître à penser, le célèbre écrivain espagnol Juan Ramón Jiménez, ils entreprennent de lui écrire en se faisant passer pour une admiratrice. Une correspondance assidue se met en place entre le poète et cette muse inventée sur mesure…
Peu connu en France, Juan Ramón Jiménez est pourtant une figure majeure de la poésie hispanique, consacrée en 1956 par le prix Nobel de littérature. Il est donc la personnalité idéale pour incarner les fantasmes de deux jeunes apprentis écrivains péruviens en quête de reconnaissance, imaginés par l’auteur à partir d’une anecdote réelle. Le résultat est un petit bijou de fantaisie et d’humour que Juan Gómez Bárcena nous cisèle avec un plaisir perceptible, entre fresque historique et comédie pétillante, intelligemment troussée sur le thème de l’inspiration et de la création romanesque.
Tandis qu’outre-Atlantique, le grand homme de lettres se pique au jeu d’une correspondance qu’il croit authentique, la petite supercherie, conçue pour approcher leur idole, ouvre bientôt des perspectives inespérées à l’orgueil des deux jeunes manipulateurs. Si cette Georgina Hübner qu’ils ont inventée réussissait à séduire le poète, ne finirait-il par par lui dédier quelques poèmes inédits, qu’ils pourraient se vanter de lui avoir inspiré ? Voici donc les deux compères engagés dans ce qui devient une véritable entreprise de création littéraire, centrée sur un personnage qu’il leur faut apprendre à incarner avec la plus grande justesse. Georgina, en qui ils investissent de plus en plus de leurs projections personnelles, s’impose peu à peu comme une créature qu’ils ne parviennent plus totalement à modeler à leur guise. Si elle est une part d’eux-mêmes, elle leur impose aussi sa cohérence intrinsèque et les entraîne dans des développements qui pourraient bien les dépasser. De la comédie à la tragédie, il n’y a qu’un pas.
Bluffante satire de la soif de reconnaissance de l'écrivain et de sa relation à son œuvre et à ses personnages, Le ciel de Lima ne restreint toutefois pas le champ de son ironie à ses réflexions sur les détours de la création littéraire. Tout roman se nourrit d’un ressenti et, par conséquent, d’un fond de réalité. Georgina est ainsi directement issue du vécu de ses deux auteurs, dans un environnement lui aussi restitué par Juan Gómez Bárcena dans ses contradictions les plus subtiles. Et c’est avec la même finesse souvent savoureuse que l’auteur brocarde la société de Lima à l’orée du XXe siècle, quand, sous les yeux à peine curieux d’une bourgeoisie plus préoccupée de ses alliances matrimoniales entre aristocrates ruinés et nouveaux riches pressés de dorer d’un blason leur complexe d’un sang parfois mêlé, la misère jette sans recours les filles du peuple dans la prostitution et les ouvriers dans des grèves violemment réprimées.
Ce roman de Juan Gómez Bárcena s’est révélé un succès en Espagne, récompensé par plusieurs prix. Il n’était que temps de le découvrir enfin, superbement traduit en français. Coup de coeur.
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