Membre du jury du Prix Orange du Livre 2021, la romancière vous recommande 10 lectures essentielles
ce livre est sur ma PAL
encore un auteur que nous avons en commun et que j'apprécie
Pour les besoins d'une thèse sur « la vie à la campagne au XXIe siècle », un étudiant en anthropologie prend ses quartiers à La Pierre-Saint-Christophe, village fictif au bord du Marais poitevin, pour y observer les us et coutumes de ses pittoresques habitants - monsieur le Maire en tête, truculent patron de l'entreprise locale de Pompes Funèbres. Car ainsi va la grande Histoire : partout la mort saisit le vif - sauf pendant ces trois jours où elle marque une trêve, offrant un étourdissant répit à ses plus fidèles serviteurs : le banquet annuel de la Confrérie des fossoyeurs. Où l'auteur de «Boussole» (Prix Goncourt 2015) investit le terroir de douce France, explore les ressources de son Poitou natal, exhume des trésors de culture populaire, et donne libre cours à sa fibre comique.
Membre du jury du Prix Orange du Livre 2021, la romancière vous recommande 10 lectures essentielles
Au travers de plusieurs de ses romans, j’avais déjà pu apprécier le talent de l’auteur qui nous emmène à chaque nouveau récit dans des mondes différents. Son érudition mêlée à son art de conter est infinie.
Dans son dernier roman, c’est sur les pas de David Mazon, jeune chercheur en ethnologie qui se consacre à sa thèse sur » la vie à la campagne au XXIe siècle » que Mathias Enard nous entraîne. Et voilà le lecteur propulsé dans un village poitevin près de Niort ou le héros, monté sur une mobylette hors d’âge, parcourt la campagne à la recherche de témoignages. Les personnages qu’il côtoie sont tous savoureux qu’il s’agisse du maire et croque-mort, du tenancier de bistrot ou de ce peintre dont l’inspiration est scatophage. Et, entre choux et salades, le jeune ethnologue un peu perché va rencontrer l’amour tout en poursuivant une correspondance amoureuse avec Lara sa petite amie restée à Paris. Tout cela serait très classique s’il n’y avait ces petites histoires de réincarnation des personnages et de leurs aïeux (ce qu’on nomme la métempsychose) en humains ou en animaux. Cette intrusion dans le fantastique permet des diversions historiques ou naturalistes et l’on assiste aux amours d’un sanglier solitaire et à la rencontre d’une punaise de lit et de Napoléon Bonaparte himself !
Car, vous l’aurez compris, ce roman plein d’humour est truffé d’anecdotes cocasses et farfelues qui s’entrecroisent avec bonheur à du plus sérieux comme l’histoire de la région, la gastronomie, la littérature et la langue.
Mais, pour moi, le morceau de bravoure c’est la soixantaine de pages contant par le menu (en suivant le menu !) cet épisode qui a donné son titre au roman : le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs. Végans, passez votre chemin, car on nage dans la crème et le beurre, on s’empiffre de chair et de graisse et on termine en apothéose par une bataille de choux à la crème. C’est bougrement goûteux, truculent et rabelaisien en diable et on en reprendrait bien une resucée.
Roman savoureux à la lecture gouleyante.
Je souhaite bon appétit aux futurs lecteurs… !
Avis en demi-teinte pour cette dernière écoute pour le Prix Audiolib.
Pour les besoins de sa thèse sur la vie à la campagne, vaste sujet, David Mazon, anthropologue en devenir, s'installe, au hasard des subventions accordées, dans le marais poitevin pour y observer ses habitants et les interroger.
Ce citadin est vite confronté à des phénomènes qui lui sont étrangers, les distances entre les différents points d'intérêt et le moyen de les parcourir pour ne citer qu'un exemple.
D'interview en réflexion sur son sujet de thèse, David va découvrir tout un pan d'Histoire rurale et enrichir sa propre vision des choses.
J'ai bien accroché au début de ce roman, le lecteur est malicieux, on sent l'ironie présente dans le texte, même si l'écriture en forme d'entrée de journal intime n'est pas forcément évidente à rendre vivante.
Mais j'ai vite décroché lors de la deuxième partie, j'ai eu l'impression de ne pas écouter le même livre. Les diverses réincarnations en ver de terre ou marcassin, ainsi que les histoires de vies antérieures m'ont laissée de glace, voire même ennuyée.
Je n'arrivais plus à m'y retrouver parmi les différents personnages, le passé et le présent, bref j'ai eu une forte impression de fouillis.
Le fameux banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs ne m'a pas non plus intéressée, j'ai eu l'impression que cette partie durait des siècles !
Il y a cependant un côté rabelaisien qui plaira aux amateurs du genre, ce qui n'est pas mon cas. Et on ne peut nier que cette description de banquet correspond fort bien à la tradition orale et le lecteur s'en sort haut la main.
Heureusement, le retour à la fin du roman au récit de David, l'anthropologue parisien, m'a permis de boucler la boucle de cette histoire et m'a quelque peu réconciliée avec le roman.
David Mazon, thésard en ethnologie, débarque dans les Deux-Sèvres pour ses recherches.
Bien évidemment, il vivra à la ferme, pour illustrer son projet : La campagne, lieu de diversités qui cohabitent dans un même espace et développent des liens. Immédiatement il nomme sa demeure La Pensée Sauvage.
Pour se faire il commence par consigner plein de petites choses dans un journal, celui-ci se remplit plus vite que ne s’étoffe sa thèse.
David a tout du citadin qui est propulsé dans le petit monde de Jacques Martin : une église, une épicerie et puis c’est tout.
Il a droit à un prêt de mobylette vintage pour se déplacer et aller à la découverte de ce petit monde qui « ignore ignorer » comme le chante si bien Jacques Brel.
« Je commence à prendre goût à ce journal. C’est amusant, on a l’impression de parler à quelqu’un. Je me rends compte à quel point je ne suis pas moi-même avec les gens d’ici. J’ai la sensation de jouer un rôle. L’observateur essayant d’apprivoiser un milieu hostile. »
Pour David les autochtones pourraient être des martiens qu’il serait moins dépaysé.
Description de la campagne et de ses habitants drôle et à la fois pleine de tendresse par l’auteur qui semble bien connaître ce milieu-là.
« Dans ces moments-là on comprend qu’on possède un tuyau appelé œsophage, et un sac nommé estomac — l’alcool les allume tour à tour comme une guirlande de Noël, ça m’a rappelé le jeu Anatomie 2000 de mon enfance. »
La construction de ce roman est faite en six parties, dont le summum est le banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, mais chaque partie est séparée ou accrochée à la suivante par une chanson ancienne revisitée par l’auteur. C’est une respiration dans cette histoire assez tentaculaire.
Car les gens simples, ceux dont on parle peu, finalement ont une vie assez extraordinaire qui forme le terreau de notre France.
Ce sont des gens qu’il ne faut pas trahir et l’instituteur-écrivain en fera les frais.
Les femmes, de Lara la petite copine en titre de David à Lucie plus âgée que David, sont parfaitement incarnées et l’auteur en fait des êtres très intéressants.
Lucie c’est celle qui a quitté cette campagne et est revenue à cause des aléas de sa vie et pour s’occuper d’un grand-père cacochyme et de son cousin, benêt du village.
Alors sa vie n’est pas drôle et elle s’est lancée dans la culture maraîchère et vend sa production au marché. Elle se tient éloignée des autres le plus possible, mais David…
L’écriture de Mathias Enard se plie au sujet, au lieu et à l’époque dont il retrace les évènements.
Au mitan du livre, le lecteur assiste au Banquet :
« Mes bons fossoyeurs et tristes besogneux, grand maître Séchepine, trésorier Grosmollard , chambellan Bittebière, amis et confrères, nous voici une année de plus réunis pour célébrer, deux jours durant, l’arrêt de notre triste métier, la pause que le Destin nous octroie depuis l’aube des temps, deux jours où nous ne porterons pas les corps en terre, où la Mort elle-même nous accorde de nous réjouir, pour oublier ce que nous savons tous, que nous finirons dans ses bras, la dernière amante, la même pour tous. Voici le Banquet annuel de notre Confrérie, comme tous les ans depuis que le monde est monde, où nous allons ripailler, nous remplir la panse et le gosier. Réjouissons-nous, frères de tristesse, et laissons nos longues figures pour de gigantesques rires ! »
Là lecteur vous entrez dans une fête où plaisirs de la chair et plaisirs de l’esprit font la noce.
Le temps est suspendu pour que chacun puisse savourer le nectar de la vie.
L’auteur est un voyageur, il a une belle connaissance des êtres et pas de façon livresque, c’est un regard qui nous livre du rire, des larmes, du baroque et du moderne, il a pour ses personnages un réel amour quelle que soit leur différence.
David au départ de l’histoire est un jeune homme qui n’a pas vraiment les pieds sur terre ni la tête dans les livres, il se laisse un peu porter, mais les évènements, cette plongée dans l’humain, comme l’enfant que l’on jette dans le grand bain, le feront grandir.
Sous l’apparence d’une histoire foisonnante et luxuriante Mathias Enard aborde les questions existentielles : la réincarnation, nous sommes la somme de nos morts et comment préserver la vie sur terre si ce n’est en transformant profondément nos activités surtout quand des lois stupides ont détruits notre patrimoine.
Tous les destins ne font qu’un que l’on vive dans un trou rural ou dans une grande capitale.
Nous sommes la mémoire de l’histoire des lieux, le terreau de la vie.
Un livre qui vous embarque dans un voyage inoubliable, l’auteur écrit des livres très différents, aussi savants que jouissifs. C’est le partage d’une érudition, d’une réflexion qui n’est jamais ennuyeuse ou rébarbative et c’est un art qu’il maîtrise à la perfection.
Et pour finir sur une note philosophique :
« Parler de la Mort c’est la noblesse ! La pensée ne peut vivre sans la Noire Altesse ! »
©Chantal Lafon
Bien difficile de faire le bilan d'une lecture dont je suis finalement sortie satisfaite, après être passée par des phases d'intérêt, de plaisir littéraire, mais aussi des moments de vertige ou d'égarement. .
Tentons à présent de traduire les étapes de cette « douche écossaise » !!
Le personnage principal du roman : David Mazon, anthropologue parisien est chargé, pour les besoins de sa thèse, de mener une enquête ethnographique dans petite commune des Deux Sévres : La Pierre Saint Christophe, dont il découvre progressivement les habitants .
Le roman s'ouvre sur le journal de bord qu'il rédige dès son arrivée, texte factuel de 70 pages qui couvre une période de un mois, celle de la prise de contact .
Signalons que ce journal ne sera repris qu'après 10 mois d'interruption et après 250 pages, dans la partie 7, la partie finale où se clôt l'intrique romanesque amorcée dans les premières pages .
LE BANQUET ANNUEL DE LA CONFRERIE DES FOSSOYEURS est un roman à la construction déroutante dont on découvre progressivement les règles en cours de lecture .
Une construction de forme concentrique dans laquelle 6 parties entourent une partie centrale, la quatrième, un morceau de bravoure qui donne son titre au roman .
Que se passe-t-il donc entre temps,dans ces parties 2et 3, puis 5 et 6 ?
On y retrouve par moments certains des personnages du village mais reliés et entremêles étroitement à ceux d'un passé lointain par la croyance en la réincarnation des âmes qu'annonce la phrase en exergue du roman « Dans nos nos existences antérieures nous avons tous été pierre, rosée, vent …...tortue, oiseau ou mammifère »
J'ajouterai que, entre chacune de ces parties, Mathias Enard glisse quelques pages qu'il intitule Chanson qui relatent une anecdote qui renvoie à une chanson du répertoire populaire.
Une architecture savante et quelque peu déconcertante, vous en conviendrez, qui mêle et entrecroise époques et situations.
Mais qu'en est-il, me direz-vous, de cette partie 4 : Le banquet de la confrérie des fossoyeurs ?
Certains des membres de cette confrérie exercent leurs fonctions dans la commune dont le maire est à la tête d'un entreprise de pompes funèbres .
Il a cette année l'honneur et le privilège d'accueillir dignement « croquemorts, fossoyeurs, enterreurs, thanatopracteurs » membres de cette confrérie représentant toutes les régions de France .
La tradition impose qu'on fasse bombance autour d'un banquet gargantuesque où alternent ingestion de force denrées solides et liquides . On y bâfre, on s'y rince les dalles assoiffées, on y chante, on y roule sous la tables.
Un morceau de choix dans le roman où le lecteur revisite l'univers de Rabelais. Il y retrouve , adaptés au contexte du banquet, des allusions à Gargantua, à Badebec, à l'abbaye de Thélème . Mathias Enard a su s'approprier la « substantifique moelle » de l'écriture rabelaisienne, la pasticher habilement . Tout y est « hénaurme » !
Ceux qui connaissent Rabelais se retrouveront dans l'univers de « Maître François », mais il se pourrait aussi que d'autres tournent rapidement les pages de cette partie..... Pour ma part, je l'ai trouvée jubilatoire d'un point de vue littéraire, j'en ai dégusté les énumérations , les accumulations, les hyperboles.
Ce fut une parenthèse bienvenue après les parties 2 et 3 dont la teneur historique m'a paru plutôt pesante et les allers retours entre passé et présent un peu étourdissants. ( les parties 5 et 6 reprennent d'ailleurs ce schéma ) On y voit passer, depuis l'époque des Carolingiens jusqu'à l'époque moderne, grand nombre de Poitevins, certains glorieux ou récurrents comme Agrippa d'Aubigné : le « poète guerrier » ou des personnages de la commune dont les âmes auraient émigré, par le biais d'animaux jusqu' aux actuels habitants du village.
Je dois avouer que ces constants aller-retours entre passé et présent m'ont donné le tournis , ne sachant plus qui était relié à qui et par l'intermédiaire de quel animal.... ….
J'ai apprécié ensuite que la partie 7 me ramène plus sobrement à La Pierre Saint Christophe actuelle, au personnage de David, l'anthropologue, aux liens qu'il entretient avec les membres de la commune et au destin qu'il va se choisir.
Les talents de Mathias Enard sont ici multiples tant dans le grand nombre d'événements historiques relatés que dans la variété des tons employés . Il s'y révèle aussi à l'aise dans la démesure du banquet ou le grossissement des passages d'épopée guerrière, que dans la finesse descriptions multisensorielles des paysages brumeux des Deux Sèvres , région de son enfance, terre de marécages , de chasse et de pêche.
Un roman foisonnant, puissant, érudit, dont la richesse est liée aux nombreuses interactions textuelles qu'il entretient avec d'autres œuvres d'époques diverses ( citées souvent en référence) que l'auteur adapte, transforme, et qui interagissent pour tisser et ensemencer une oeuvre nouvelle.
Un roman m'est apparu comme l'équivalent littéraire d'un lieu que Mathias Enard évoque dans la partie 5 : la maison de l'écrivain Pierre Loti, à Rochefort, qui concentre en un même lieu des éléments de décoration appartenant à des époques et des civilisations différentes.
Un roman-monument qui mérite une visite !
J'ai voulu lire ce livre tout d'abord parce qu'il a reçu de bonnes critiques, mais surtout parce qu'il m'a permis de valider la lettre « E » de Enard pour le challenge ABC qui est en cours ! Heureusement que j'ai pu au moins gagner cela car le roman m'a franchement déçu !
David, la trentaine, est un adolescent attardé qui ne sait rien faire d'autre que "travailler" en dilettante sur sa thèse d'ethnologie. Il quitte Paris pour laisser tranquille son amie qui, elle, étudie plus sérieusement. Il part donc en terrain, non pas dans des contrées lointaines mais … dans les Deux Sèvres. C'est quand même plus confortable !
Il atterrit dans le village de Pierre Saint Christophe que l'auteur a voulu rendre représentatif de la plaine niortaise de son enfance. Une centaine d'habitants gravitant autour de l'attendu café-épicerie-articles de pêche.
3 parties forment ce livre. Aux extrémités, on peut lire le journal de terrain de David qu'il écrit, malgré lui, dans un style assez humoristique, il faut le reconnaître. Avec beaucoup de prétention, il se prend pour un grand ethnologue mais il n'est franchement pas à la hauteur et passe plus de temps au bar finalement que sur sa thèse.
Je me suis vite ennuyé au milieu des tous ces villageois et certains passages m'ont paru sans intérêt (séances d'amour à distance avec son amie ou description des oeuvres de l'artiste du village : une statue d'un chien qui sodomise un loup ou des tableaux de « scènes de torture féminine dans les sous-sol de béton ; … ;prostituées dégoulinantes de chair se grattant la culotte, jaunie à l'entrejambe. » Bof,bof…)
Le fameux banquet, forme le passage central, un peu déconnecté du reste. On tourne autour d'une réincarnation de l'âme dans un autre corps humain, ou animal ou dans un végétal et ça ne m'a franchement pas convaincu.
Ce texte est baroque mais au final trop hétéroclite, selon moi, pour former un tout agréable à lire.
Trop peu d'intérêt pour moi. A oublier.
Avec un retour sur sa terre natale des Deux-Sèvres, Mathias Enard nous livre une réflexion sur la campagne française dans tous ses états !
L’auteur niortais érudit nous entraine dans une exploration du Poitou, de Clovis à nos jours, en y dévoilant les traditions, l’évolution, l’Histoire, l’art, la littérature, les chansons, la religion, la nature, la diversité du terroir et la géographie tout en mettant un fort accent sur l’écologie qui devient une nécessité incontournable au vu de la détérioration progressive et alarmante de nos campagnes.
Il met en scène un petit village fictif (La Pierre Saint Christophe) avec son unique café-épicerie-pêche et le quotidien de ses habitants dont quelques personnages haut en couleurs dans leur réalité collective contemporaine mais aussi la vie de leurs ancêtres et … leurs propres vies antérieures…
En effet, le livre traite aussi en grande part du cycle de la vie.
L’auteur en se saisissant de l’hypothèse que tout vivant à sa mort est réincarné dans une autre forme de vie sur terre, peut ainsi dans un récit somme toute un peu foutraque, déployer et généreusement délivrer une somme astronomique de connaissance savante. Les réincarnations successives, lui donnent toute amplitude de raconter en désordre, des faits historiques, des pans biographiques de notoriétés ou se glisser dans la vie d’une punaise de lit, d’un loup, d’un sanglier, voire d’un arbre, d’un végétal, d’un caillou, un rocher ou un ouragan…
Un exemple parmi beaucoup : Catherine de Médicis sera réincarnée en papillon de nuit se brûlant les ailes à un fanal et aussitôt ressuscitera en une larve grasse et blanche des ténèbres pour encore redevenir une autre noctuelle « car on ne sort pas facilement des plus horribles réincarnations, quand on y a été conduit par des vies entières de crimes et de bassesses. »
Mathias Enard va brosser une longue et riche fresque d’un banquet gargantuesque réunissant le monde du business funéraire en nous plongeant à nous gaver et nous donner le tournis dans une farandole sans fin de bonne chère, spécialités régionales, rôtis, gratinées, mets, fromages et alcools français où les chansons de corps de garde, citations philosophiques, littéraires et mythologiques, contes et croyances paysannes se succèdent avec entrain tels une Mélusine, fée de son état ou un Gargantua qui n’étaient pas seulement de fait imaginaire… Et on divague dans une assemblée fort éméchée....
Ce Gargantua géant qui bande avec un sexe grand comme un palmier dans le vent, juché sur le toit de la cathédrale de Poitiers alors qu’au-dessous de lui au sol, va bon train une manif de gilets jaunes face à une police débordée et qui éborgne… (A ce stade, on approche du trou qui n’est pas que normand puisque chaque région a sa spécialité de trou en milieu de banquet) …
Puis on parle des nouvelles méthodes BIO pour les futures funérailles… Pour ou contre l’abandon du formol polluant? Au final, tout compte fait, le cimetière vert ça rapporterait autant que le marbre et le satin des cercueils, business bien lucratif et les jardiniers auraient moins de boulot et n’auraient plus à se servir du glyphosate…
On considère d'accepter les femmes dans la confrérie jusqu'ici un ordre exclusivement masculin, ce qui soulève cris et protestations mais fini par être voté et admis.
On se goberge bien en lisant ce grand délire enivrant qui nous empoigne et nous fait tournoyer dans un puits d’érudition et nous prend dans les rets du fol imaginaire de cet écrivain, Officier des Arts et des Lettres, au talent hors normes.
Bossuet, Villon, Rabelais, Sénèque, Platon (bien sûr lui, avec son fameux banquet), Aristote, Lucrèce, Boèce… Festin littéraire.
On relate la « pause froide de la vie » et sa résurrection et on reprend des chansons de corps de garde et après cette avalanche de nourriture terrestre et de l’esprit, on réclame… le fromage !! Et du pain et le Graal des vins ! C’est étourdissant.
Puis les tables font place nette pour accueillir les desserts, des choux de toutes sortes mais avant on se rappelle du créateur de ce banquet annuel des fossoyeurs, le Prince Jaufré Rudel et ses chansons douces avant d’achever le dernier rituel qui est une bagarre de choux à la crème. S’ensuivra au petit matin, la traditionnelle soupe à l’oignon.
Une grande bouffe qui finit par nous sortir des yeux…
Et en cœur, les joyeux croquemorts plein de vie, reprendront : « Longue vie à la mort, généreuse putain ! »
Le curé est absent, mort juste avant ces ripailles de trois jours sans que personne ne meurt alors. Réincarné en sanglier, nous pourrons le suivre dans sa nouvelle vie sous les futaies des marais.
Enfin, on retrouve les gens du village, la suite de leurs histoires et leurs mémoires.
La conclusion est tenue tout comme l’est l’introduction de ce roman, par le narrateur David Mazon, un jeune ethnologue parisien (de Montreuil) qui a choisi de faire sa thèse sur la vie contemporaine des Français à la campagne avec le rêve secret de devenir un Claude Levi-Strauss.
Il loge chez l’habitant, une ancienne étable aménagée, à l’arrière du bâtiment central avec vue sur l’église et les champs. C’est spartiate.
Il se nourrit des lectures de Bronislaw Malinowski, se détend avec Tetris, un jeu en ligne et a des rendez-vous via la Webcam avec Lara dont le pyjama lui cause un certain trouble érotique. « Je suis aussi loin que Malinowski au milieu du Pacifique car l’éloignement signifie juste ne pas pouvoir obtenir ce que l’on veut au moment où on le désire. »
Mais c’est décidé. C’est à La Pierre Saint Christophe, un trou perdu du Bas Poitou qu’il va étudier la vie des gens et en rendre compte à son maitre de thèse.
Il va découvrir des vers longs et rouges dans le bac à douche sans savoir qu’ils sont la réincarnation éternelle de deux sinistres assassins et leurs bourreaux voués à plusieurs générations dans l’humidité et que les litres d’eau de Javel versés ne les feront pas disparaitre.
Sous la douche, l’immature et prétentieux jeune homme rêve d’une chaire au Collège de France, voire un Nobel et quelques honoris causa. Un siège à l’Académie, celui de Lévi-Strauss si possible… Mais de thèse que nenni et en lieu de l’œuvre rêvée, et de ses articles refusés, David Mazon débouté, dépité, dégoûté,déprimé va s’en tenir à un journal, consignant les mœurs des autochtones et son propre quotidien.
Il se déplacera sur une vieille mob prêtée par ses hôtes pour ses interviews et ses courses principalement des boîtes de haricots blancs à la tomate…
Le citadin bobo intello condescendant qui arrive au fin fond d’une campagne reculée est un moment de lecture qui force à éclater de rire !
Pourtant, en conclusion, il va rencontrer les gens petit à petit et se liera même d’amitié. Il finira par convenir que la ruralité lui plait. Il y trouvera un vrai sens à sa vie. Une chaleur fraternelle face aux rudesses du climat, des terres et du travail. Il développera une prise de conscience concernant l'urgence de l’écologie contre les dangers destructeurs planétaires et voudra s'impliquer. Lucie remplacera Lara. Adieu Paris!
Entrecoupé de chansons populaires revisitées, c’est un roman érudit, intelligent, coloré, foutraque, délirant, bourré d’humour, d’ironie, de regards acérés, de justesse, de tendresse, de voracité, de vérité, de réflexions, de vivacité. Rien ne manque à ce tableau de campagne dans lequel il faut juste se laisser promener. Blindé de talent !
Généreux et savoureux.
ce livre est sur ma PAL
encore un auteur que nous avons en commun et que j'apprécie
David jeune ethnologue parisien de 30 ans choisit pour les besoins de sa thèse consacrée à " la vie à la campagne" un village des Deux-Sèvres: La Pierre St Christophe.
Là il décide d'y tenir un journal afin de consigner, au fil de ses rencontres avec certains habitants, leurs témoignages.
Décrire les activités à la campagne:
_ les agriculteurs, la gestion de leurs terres, l'incompréhension de la PAC menée par l'État
_ le marché local
_le rôle et l'importance de la confrérie du banquet annuel des fossoyeurs
_sans oublier l'incontournable bar du village " Le Café-Pêche", véritable socle social.
Témoigner de la diversité que représente la campagne aujourd'hui avec ses agriculteurs, ses jeunes rurbains, ses retraités étrangers...
Comprendre que derrière chaque pierre se cache une anecdote, un secret, une histoire de village. Qu'il faut savoir écouter, prendre le temps.
Mathias Énard nous fait découvrir avec une grande précision et érudition la région de son enfance au travers d'une multitude d'histoires.
C'est à la fois drôle, émouvant, inquiétant, prenant.
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J'ai commencé ce roman hier soir, et je crois percevoir qu'il est un peu déroutant. Les premières choses qui s'opposent déjà à une lecture fluide sont les nombreuses parenthèses...
Merci Anne-Marie pour ta chronique qui m'encourage pour poursuivre!
A bientôt pour la suite.