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Au début de sa République, Platon raconte le légende de Gygès, qu'on trouve déjà chez Hérodote et qui sera repris par Cicéron, Wagner ou Tolkien.
Gygès, un jeune et misérable berger découvre une bague au pouvoir magique: quand il en tourne le chaton vers l'intérieur, il devient invisible. Etre invisible c'est parfois bien commode: quand on n' est pas vu, on est sur de n'être pas pris! Notre berger s'arrange donc pour faire partie des messagers envoyés au palais royal. Là, il séduit la reine, complote avec elle l'assassinat du roi et prend sa place.
Imaginons maintenant qu'il y ait deux anneaux: l'homme juste en reçoit un, le méchant l'autre. Aucun des deux n'aurait assez de courage pour résister à la tentation du vol, du viol ou du meurtre: "personne n'est juste volontairement, on est juste seulement par contrainte".
C'est Glaucon, le frère de Platon, qui raconte l'histoire pour illustrer, sans toutefois l'approuver, le point de vue des Sophistes : ne pas commettre l'injustice est le fait des faibles; si l'on pouvait commettre l'injustice impunément on aurait tort de s'en priver; un crime parfait n'est pas un crime, quand il est bien fait, il est bien de le faire; ce qu'on appelle la justice se réduit à la peur du châtiment; il n'y a pas de morale qui tienne, la "morale" n'est qu'une convention sociale et arbitraire. Le point de vue de Socrate est tout autre: il n'est pas de crime parfait ni de criminel heureux car il n'y a pas de crime sans témoin: nous avons une conscience; la conscience est le témoin intérieur qui nous empêche de commettre des actes en compagnie desquels nous ne pourrions vivre ensuite. Ainsi, à tout prendre, "mieux vaut subir l'injustice que la commettre".
A-t-on le droit de mal faire quand il n'y a pas de punition à la clé? Les hommes peuvent-ils être bons ou sont-ils tous méchants? Un méchant ne peut-il pas être heureux? Ce ne sont pas seulement des questions que les enfants peuvent comprendre, ce sont des questions qu'ils se posent. Dégager la portée philosophique du mythe c'est alors les conduire à mieux comprendre la position de Socrate. Nous ne vivons pas seulement en compagnie des autres mais en compagnie de nous-même et de notre conscience. Il faut s'efforcer d'agir bien non pas par peur de la punition ou par peur que soit retirée l'affection des parents mais pour garder l'estime de soi. Nul n'est plus malheureux que celui qui a perdu le respect de lui-même ou celui dont la conscience finit par se taire à force d'être fuie: il doit toujours s'étourdir, il ne peut plus se tenir compagnie à lui-même, imaginer, se souvenir, se poser des questions, réfléchir : "dépourvue de pensée, sa vie ne vaut pas d'être vécue". On peut alors inviter les enfants à s'interroger: s'ils possédaient un anneau magique, qu'en feraient-ils? Notre mythe se révèle finalement pour nos enfants une précieuse expérience de pensée, une manière discrète et efficace d'éveiller ce sens moral que nos sociétés férues de réussite sociale ont tendance à oublier.
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