"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Bâti sur les décombres de l'Europe napoléonienne, l'Empire austro- hongrois pouvait sembler, en 1914, l'une des puissances les plus solides du continent.
C'était un empire à l'ancienne, c'est-à-dire qu'il avait l'ambition de fédérer de nombreux peuples hétérogènes. Dans les faits, une majorité d'Allemands et de Hongrois régissaient les destinées de Slaves (Tchèques, Polonais, Slovènes, Croates, etc.) de Roumains et d'Italiens - lesquels cohabitaient d'ailleurs plutôt mal entre eux.
C'est à la suite de l'assassinat de son prince héritier François-Ferdinand que le vieil empereur François-Joseph s'est laissé entraîner dans la guerre, aux côtés de l'Allemagne. Déchiré entre des nationalités différentes, des religions antagonistes, véritable tour de Babel linguistique, l'empire n'a pas supporté le choc.
Cinq ans après Sarajevo, ce sont cinq pays nouveaux qui remplacèrent la Double Monarchie. En Autriche même, devenue un État croupion, le jeune empereur Charles Ier (qui avait succédé à François-Joseph en 1916) dut renoncer.
L'auteur, qui est le meilleur spécialiste français de l'Autriche-Hongrie, retrace avec minutie l'agonie d'une monarchie qui n'a pas su s'adapter aux temps nouveaux en dépit des atouts non négligeables qu'elle détenait. Cette page capitale de l'histoire de l'Europe n'a jamais été racontée dans son ensemble.
La carte des Etats européens du début du XXIème siècle, telle que nous la connaissons depuis des décennies, nous ferait presque oublier que l’organisation de l’Europe Centrale fut tout à fait différente il y a plus de 100 ans. Si des pays ont vu leur territoire se restreindre à la fin de la Première Guerre Mondiale, d’autres ont tout simplement disparu de la carte, c’est le cas de la monarchie d’Autriche-Hongrie. Dans L’Agonie d’une monarchie, sous-titrée Autriche-Hongrie, 1914-1919, l’historien Jean-Paul Bled, fin connaisseur de cette région, nous donne son analyse des causes ayant généré l’effondrement de cette monarchie.
J’avais dans un précédent billet consacré à un autre livre de Jean-Paul Bled, François-Ferdinand, brièvement décrit ce qu’était l’Autriche-Hongrie, une structure issue de la transformation du Saint Empire après les guerres napoléoniennes, avec un dualisme acté à partir de 1867. Malgré des facteurs puissants d’intégration, l’Autriche-Hongrie connaît de réels tourments la veille de la Première Guerre Mondiale. Affaiblie par les guerres balkaniques, elle doit faire face à la montée de la Serbie comme menace extérieure proche, mais aussi à des périls internes comme la question de la Bohême (confrontation entre Tchèques et Allemands) ou des minorités qui se sentent opprimés par l’emprise magyare. C’est de la Bosnie, annexée par l’Autriche, que viendra l’étincelle qui mit le feu à la poudrière européenne à partir de 1914.
Pour un lecteur originaire de France, et qui a l’habitude de lire des éléments sur la Première Guerre Mondiale à l’aune de ce qui se passa majoritairement sur le front Ouest, le livre de Jean-Paul Bled met très bien en valeur le déroulement de la guerre sur les autres fronts, montrant à quel point la Monarchie était très exposée (Serbie d’un côté, Empire Russe de l’autre, puis Italie à partir de 1915). Il est très intéressant de voir également à quel point l’engagement des pays restés neutres en 1914 (comme l’Italie et la Roumanie) fut l’objet d’âpres négociations entres les puissances engagées. Un des points développés dans le livre est le déséquilibre croissant entre les puissances de l’Axe : une Allemagne en expansion, avec des velléités d’expansion territoriale, et une Autriche-Hongrie beaucoup plus mesurée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les pays de l’Entente ont longtemps continué à considérer l’Autriche-Hongrie comme un rempart à l’impérialisme allemand ; la monarchie a d’ailleurs entamé des pourparlers dans ce sens après l’accession au trône du nouvel empereur Charles. Néanmoins, dans un souci de ne pas provoquer l’Allemagne, le nouveau souverain a finalement rejeté lui-même l’idée de paix séparée.
Les tentatives de paix séparée ont vécu, la situation se dégrade quant à elle de plus en plus vers la fin de la guerre : le ravitaillement est un problème majeur (les soldats au front ne pèsent pas plus de 50kg, on peut donc s’imaginer dans quel état ils devaient mener l’assaut), des troubles éclatent ici ou là, et les questions des nationalités arrivent au premier plan, jusqu’à se désolidariser de l’Autriche-Hongrie : l’exemple de la légion tchécoslovaque qui s’engage dans des combats aux côtés de l’Entente est très évocateur. Signalons enfin les occasions manquées de réforme et, dans ce domaine, les positions toujours très arqueboutées de la Hongrie (qui ne voulait en aucun cas étendre son régime du dualisme acquis en 1867) ont été des freins à la modernisation de la monarchie.
Jean-Paul Bled rejette la thèse d’un complot ayant conduit à la disparition de la monarchie. Comme François Fejtö, il conclut sur le fait que cette disparition a créé un vide en Europe Centrale, la rendant vulnérable aux prédateurs que furent le Reich allemand et l’URSS.
"La mort de l’Autriche-Hongrie n’est pas l’aboutissement d’un complot international. Elle est morte d’épuisement, victime d’une guerre trop longue, minée par les ravages d’une crise alimentaire jamais maîtrisée, par les effets délétères d’une vassalisation progressive au Reich allemand. La conjonction de ces facteurs a favorisé la montée des radicalismes qui ont fini par avoir raison du patriotisme dynastique, le ciment qui tenait ensemble les peuples de la Monarchie. C’est seulement très tard que les puissances de l’Entente se résolvent à tirer un trait sur l’Autriche-Hongrie."
C’est un ouvrage que je conseille vivement à celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre continent. Sur un sujet complexe, Jean-Paul Bled nous livre une analyse très intéressante qui reste très accessible.
https://etsionbouquinait.com/2024/05/02/jean-paul-bled-lagonie-dune-monarchie/
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