"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Le 28 juin 1914, à Sarajevo, était assassiné l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche, héritier de la monarchie d’Autriche-Hongrie. Cet évènement déclencheur allait précipiter l’Europe toute entière dans la Première Guerre Mondiale 34 jours plus tard. Mais qui était donc François-Ferdinand, comment était-il arrivé dans la position d’héritier du trône, quelles étaient ses idées… ? Ce sont toutes ces questions auxquelles Jean-Paul Bled, historien spécialiste de l’Autriche-Hongrie et de l’Allemagne, va s’attaquer dans son livre François-Ferdinand d’Autriche paru chez Tallandier. Une très belle occasion de redécouvrir la Monarchie disparue depuis 1918 et cet inconnu célèbre…
Amis lecteurs, au cas où vous ne seriez pas connaisseurs de l’histoire de l’Europe Centrale, ne fuyez pas ! Je ne saurais rédiger ce « post » sans vous donner quelques repères historiques : sachez donc que la monarchie est dirigée depuis 1848 par François-Joseph, qui a pour épouse Elizabeth, bien plus connue sous le nom de Sissi. De leur union naquirent plusieurs enfants, dont un fils, Rodolphe, retrouvé mort avec son amante en 1889, à Mayerling. Le trône revient donc en cas de décès de François-Joseph à Charles-Louis, le frère de l’Empereur. Or ce dernier décède en 1896, et son fils, François Ferdinand, devient donc le nouvel héritier. Pour être complet et juste, on parle d’Empire austro-hongrois à partir de 1867, pas avant ; à cette date, sous la pression des Hongrois, l’Empire d’Autriche se scinde en deux avec une partie dominée par l’Autriche, l’autre par la Hongrie (l’Empereur étant en charge de la diplomatie, de la guerre et des finances).
Vous retrouverez l’ensemble de ces éléments dans le premier chapitre du livre qui a le mérite de poser l’Etat de la Monarchie dans cette seconde moitié du XIXème siècle. Jean-Paul Bled nous décrit ensuite l’apprentissage du jeune homme qu’il résumera ainsi :
Sauf quelques cas particuliers, François-Ferdinand ne s’est montré un élève ni intéressé, ni curieux. (…). Les limites de cet enseignement apparaîtront clairement quand le statut de François-Ferdinand aura changé (…)
Catholique ardent, hostile au partage de la Monarchie tel que décidé en 1867, il s’oppose assez rapidement à François-Joseph. C’est notamment autour du mariage de l’archiduc que la tension sera vive ; François-Ferdinand épouse une comtesse issue d’une famille noble tchèque qui ne fait pas partie des familles pouvant nouer une alliance avec les Habsbourg. Après l’avoir dissuadé d’épouser Sophie, François-Joseph oblige son neveu à faire un mariage morganatique (cela veut dire que sa future épouse ne fait pas partie de la famille impériale et que ces enfants ne pourront prétendre au trône). Cela marquera la rupture entre les deux hommes.
François-Ferdinand a deux facettes : il est d’un côté nerveux, instable, violent (son tableau de chasse comporte environ 275.000 pièces – je me souviens à cet égard de ma visite au chateau de Konopiste près de Prague, où sont exposés les nombreux trophées), hostile au libéralisme et au progressisme, et de surcroît manquant de culture. De l’autre, c’est un père et un mari aimant, un homme attaché à la paix, qui a joué un rôle de modernisateur des armées de la Monarchie, et qui était conscient de la nécessité de réformer cette dernière. Ceci est très bien rendu par le livre.
On lira également avec intérêt tout le contexte des guerres balkaniques qui ont précédé la 1ère guerre mondiale et l’on pourra s’interroger une fois de plus sur le destin en voyant les conditions de l’attentat : en effet, une première bombe avait été lancée et un lieutenant blessé. François Ferdinand réfugié entre temps à la mairie veut rendre visite au blessé ; en repartant, le chauffeur reprend l’ancien itinéraire, et c’est ainsi qu’il se précipite vers ses assassins…
J’avais déjà lu de Jean-Paul Bled la biographie de François-Joseph, qui m’avait plu davantage. Il n’en demeure pas moins que ce François-Ferdinand d’Autriche mérite une lecture !
https://etsionbouquinait.com/2015/11/17/jean-paul-bled-francois-ferdinand-dautriche/
La carte des Etats européens du début du XXIème siècle, telle que nous la connaissons depuis des décennies, nous ferait presque oublier que l’organisation de l’Europe Centrale fut tout à fait différente il y a plus de 100 ans. Si des pays ont vu leur territoire se restreindre à la fin de la Première Guerre Mondiale, d’autres ont tout simplement disparu de la carte, c’est le cas de la monarchie d’Autriche-Hongrie. Dans L’Agonie d’une monarchie, sous-titrée Autriche-Hongrie, 1914-1919, l’historien Jean-Paul Bled, fin connaisseur de cette région, nous donne son analyse des causes ayant généré l’effondrement de cette monarchie.
J’avais dans un précédent billet consacré à un autre livre de Jean-Paul Bled, François-Ferdinand, brièvement décrit ce qu’était l’Autriche-Hongrie, une structure issue de la transformation du Saint Empire après les guerres napoléoniennes, avec un dualisme acté à partir de 1867. Malgré des facteurs puissants d’intégration, l’Autriche-Hongrie connaît de réels tourments la veille de la Première Guerre Mondiale. Affaiblie par les guerres balkaniques, elle doit faire face à la montée de la Serbie comme menace extérieure proche, mais aussi à des périls internes comme la question de la Bohême (confrontation entre Tchèques et Allemands) ou des minorités qui se sentent opprimés par l’emprise magyare. C’est de la Bosnie, annexée par l’Autriche, que viendra l’étincelle qui mit le feu à la poudrière européenne à partir de 1914.
Pour un lecteur originaire de France, et qui a l’habitude de lire des éléments sur la Première Guerre Mondiale à l’aune de ce qui se passa majoritairement sur le front Ouest, le livre de Jean-Paul Bled met très bien en valeur le déroulement de la guerre sur les autres fronts, montrant à quel point la Monarchie était très exposée (Serbie d’un côté, Empire Russe de l’autre, puis Italie à partir de 1915). Il est très intéressant de voir également à quel point l’engagement des pays restés neutres en 1914 (comme l’Italie et la Roumanie) fut l’objet d’âpres négociations entres les puissances engagées. Un des points développés dans le livre est le déséquilibre croissant entre les puissances de l’Axe : une Allemagne en expansion, avec des velléités d’expansion territoriale, et une Autriche-Hongrie beaucoup plus mesurée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les pays de l’Entente ont longtemps continué à considérer l’Autriche-Hongrie comme un rempart à l’impérialisme allemand ; la monarchie a d’ailleurs entamé des pourparlers dans ce sens après l’accession au trône du nouvel empereur Charles. Néanmoins, dans un souci de ne pas provoquer l’Allemagne, le nouveau souverain a finalement rejeté lui-même l’idée de paix séparée.
Les tentatives de paix séparée ont vécu, la situation se dégrade quant à elle de plus en plus vers la fin de la guerre : le ravitaillement est un problème majeur (les soldats au front ne pèsent pas plus de 50kg, on peut donc s’imaginer dans quel état ils devaient mener l’assaut), des troubles éclatent ici ou là, et les questions des nationalités arrivent au premier plan, jusqu’à se désolidariser de l’Autriche-Hongrie : l’exemple de la légion tchécoslovaque qui s’engage dans des combats aux côtés de l’Entente est très évocateur. Signalons enfin les occasions manquées de réforme et, dans ce domaine, les positions toujours très arqueboutées de la Hongrie (qui ne voulait en aucun cas étendre son régime du dualisme acquis en 1867) ont été des freins à la modernisation de la monarchie.
Jean-Paul Bled rejette la thèse d’un complot ayant conduit à la disparition de la monarchie. Comme François Fejtö, il conclut sur le fait que cette disparition a créé un vide en Europe Centrale, la rendant vulnérable aux prédateurs que furent le Reich allemand et l’URSS.
"La mort de l’Autriche-Hongrie n’est pas l’aboutissement d’un complot international. Elle est morte d’épuisement, victime d’une guerre trop longue, minée par les ravages d’une crise alimentaire jamais maîtrisée, par les effets délétères d’une vassalisation progressive au Reich allemand. La conjonction de ces facteurs a favorisé la montée des radicalismes qui ont fini par avoir raison du patriotisme dynastique, le ciment qui tenait ensemble les peuples de la Monarchie. C’est seulement très tard que les puissances de l’Entente se résolvent à tirer un trait sur l’Autriche-Hongrie."
C’est un ouvrage que je conseille vivement à celles et ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre continent. Sur un sujet complexe, Jean-Paul Bled nous livre une analyse très intéressante qui reste très accessible.
https://etsionbouquinait.com/2024/05/02/jean-paul-bled-lagonie-dune-monarchie/
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