"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En 1945, dans une ville d'Allemagne occupée par les alliés, un photographe de guerre anglais ne parvient pas à rentrer chez lui. Alors qu'il couvrait la défaite allemande, il a assisté à la libération d'un camp de concentration. Depuis, il ne trouve plus les mots.
Logé dans le même hôtel que le colonel qui commandait le régiment qui a libéré le camp, il tisse avec ce dernier des liens d'amitié, fondés sur la vision commune de l'horreur. Un soir, le photographe expose son idée : il veut partir à travers l'Allemagne pour photographier les gens devant leur maison.
Il espère ainsi, peut-être, découvrir qui sont ceux qui ont per- mis l'existence des camps. Le colonel met à sa disposition une voiture et un chauffeur de son régiment. C'est un très jeune soldat qui vient d'arriver et qui n'a rien vu de la guerre.
Ils partent au hasard sur les routes. Le photographe est hanté par ce qu'il a vu, le soldat par des évènements intimes sur- venus chez lui, en Angleterre. La Terre invisible raconte ce voyage.
A la fin de la seconde guerre mondiale, les hommes des forces alliées parvenus sur place découvrent avec stupeur l'horreur des camps de concentration. Parmi eux, en Allemagne, un photographe de l'armée anglaise réagit au choc en sillonnant les environs pour accumuler des clichés de la population voisine. Un jeune soldat l'accompagne et lui sert de chauffeur.
Comment mieux évoquer l’indicible qu’en évitant les mots ? Hubert Mingarelli construit son récit sans jamais sortir du non-dit, ne nous renvoyant l’atroce réalité que sous la forme d’un reflet dans le regard des protagonistes témoins. Ne nous est donné à voir ici que l’effet, ou l’absence d’effet, sur ceux qui ont vu. Car, autant que ce qu’il vient de découvrir, n’est-ce pas la passivité indifférente de ces gens des alentours qui choque le narrateur photographe ? Cherche-t-il à retrouver sur leurs visages l’état de sidération qui le tient, une trace de remord ou de culpabilité, une marque du mal qui expliquerait l’inexplicable ? Comment admettre que l’espèce humaine ait pu engendrer tant de barbarie ?
Peut-être s’ingénie-t-il aussi à aligner les portraits-robots d’une criminalité collective, car face à l’infamie, le réflexe n’est-il pas de s’emparer des coupables, ne serait-ce que pour soulager son impuissance, sa colère et sa peur ? Ce qu’il entend révéler ou mettre à distance dans ses portraits, n’est-ce pas ce qu’il craint qui pourrait lui faire perdre son sang-froid, et, comme d’autres, l’amener à des actes de justice expéditive qu’un rien suffirait à déclencher ?
Au final, ce jeu de miroir, qui m’a fait penser à la manière d’approcher les Gorgones de la mythologie grecque, confère retenue et sobriété à ce court roman qui, malgré son thème difficile, se lit étonnamment sereinement.
C’est avec beaucoup de tristesse que j’ai appris le décès de cet écrivain aussi talentueux que discret.
Pourtant son talent avait franchi les frontières car avec Annie Ernaux il figurait l’an dernier dans la sélection du prestigieux Man Booker International Prize.
Son dernier livre, entraîne le lecteur dans l’Allemagne occupée en 1945.
« Depuis presque deux semaines de ce mois de juillet brûlant j’attendais à Dinslaken, au bord du Rhin, je n’arrivais pas à m’en aller. Pourtant je pensais avoir tout photographié. »
Dès l’incipit, le lecteur retrouve cette écriture particulière d’Hubert Mingarelli qui sait décrire ce temps de latence, de flottement qui s’impose en fonction des circonstances et sur lequel on ne sait pas mettre des mots.
Le narrateur est photographe de guerre, et il fait un cauchemar récurrent : « On avait couvert les morts avec des bâches. On avait porté les mourants dans les baraques et on les avait enveloppés dans nos couvertures. Ceux qui pouvaient marcher restaient dehors en groupe le long des baraques et ils regardaient vers le ciel encore pâle semblant lire quelque chose … »
Dans son périple il sera accompagné du jeune O’Leary, qui a été incorporé depuis seulement quinze jours et donc n’a rien vécu de cette guerre.
L’impossibilité de dire ce qui a été vu, de raconter les horreurs tellement inhumaines, qu’il a besoin de fixer sur la pellicule les habitants de ce pays qui par leur passivité, ont laissé faire.
Si les descriptions de la nature sont superbes, lyriques le reste de l’écriture griffe, par son minimalisme, son épure.
En fait cette chasse aux monstres se heurtera à photographier des gens dans leur banalité la plus élémentaire.
A côté de ce périple se développe une belle fraternité entre ces deux hommes.
D’une écriture sobre, peu de dialogues, les images défilent. Le lecteur voit les photographies prises, ses poses devant l’objectif, témoignent d’une vie ordinaire alors que ces dernières années ont été des années de barbarie. Ne pas oublier c’est aussi cela être hanté.
C’est une période hante visiblement l’auteur qui a toujours su écrire sous des angles très divers et nous donner à voir des images qui restent dans la mémoire de ses lecteurs.
Un écrivain trop discret s’en est allé.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 28 janvier 2020.
Qu’il était particulier ce roman ! Je ne sais pas vous dire si j’ai aimé ou pas, je n’ai pas détesté (loin de là) mais je reste sur ma faim sur le fond. J’aurais aimé en savoir davantage même si cette part de mystère a une certaine saveur. Bref, vous voyez déjà que j’ai du mal à me positionner et c’est pourquoi cette chronique est venue dans la douleur
J avais beaucoup aimé Quatre soldats pour son écriture épurée et le sujet bien cadré en tant de guerre. Je me suis laissée emporter par le récit des deux personnages en errance dans l Allemagne juste en fin de guerre. Mais très vite je suis restée en attente d'événements de situations nouvelles...Pour quel motif vagabonder ainsi au hasard de la campagne et photographier les habitants sans aucune explications ni raison valable ? C'est déroutant presque ennuyeux à chaque nouvelle étape on attend un rebondissement mais rien ne se produit Ce n'est quand même pas anodin que d'aller ainsi traverser la campagne allemande juste à la fin de la guerre et frapper à la porte des habitants pour leur demander de poser en famille devant un objectif ! Pourquoi ? Le récit est court et m a laissée sur ma faim et cette interrogation...
L'auteur de "Quatre soldats" retrouve la proximité des hommes dans la guerre. Sans aucun doute son terreau littéraire de prédilection.
Suite à la libération d'un camp de concentration à la fin de la seconde guerre mondiale, un photographe accompagné d'un jeune soldat vont suivre un parcours insolite afin de fixer en argentique le visage des témoins muets de la déshumanisation.
Toujours précis sans être démonstratif, Mingarelli met en abîme ses personnages en les observant lui-même. Loin des jugements, la priorité est au regard qui fixe le temps et l'histoire. Bel exercice de distanciation qui nous touche peut-être beaucoup plus qu'une explosive démonstration.
Nous sommes en juillet 1945, à Dinslaken, au bord du Rhin, sous une intense chaleur. Un photographe anglais a « visité » un camp de concentration qui vient d’être libéré, en compagnie du colonel Collins, un gradé et de son chauffeur McFee qui se trouve incapable de dire ce qu’il a vu et n’a qu’une envie retourner chez lui le plus vite possible. Peut-on dire quand ce que l’on a vu est innommable ?
Notre photographe n’a pas envie de partir, il ne sait pas pourquoi, il a envie de photographier les gens du coin, simplement. Collins lui confie une voiture et O’Leary, un jeune homme qui vient juste d’arriver sur les lieux. Tout juste formé, il est arrivé trop tard sur le front et il pourra dire qu’il n’a jamais tué personne, donc les autres se moquent un peu de lui.
Ils vont partir au hasard sur la route avec quelques jerricans d’essence et des rations alimentaire.
Comment parler d’un roman où en apparence il ne se passe rien ? Le héros a une quête mais ne sait pas laquelle, tout ce qu’il sent, profondément en lui, c’est qu’il doit photographier les gens, dans leur vie de tous les jours. Il arrive à les approcher, même s’il est mal accueilli ; parfois, seul le fusil et la tenue militaire de son compagnon de voyage lui permettent d’établir un contact.
En fait les deux héros sont en quête de quelque chose et ont leurs propres cauchemars : les corps des morts qui s’agitent encore sous les bâches qui les recouvrent pour le photographe, et ceux liés à la vie de tous les jours du jeune militaire, qui chez lui allait dormir sur la plage, creusant un abri dans le sable. Ils fuient probablement quelque chose, l’un comme l’autre.
A-t-il voulu comprendre ce qui se cachait derrière ces personnes qui vivaient à proximité des camps et ne rien faire ? ou simplement voir si la vie continuait son cours à la fin de la guerre, comme auparavant ? qu’est-ce qui est invisible ? la conscience des personnes ? ou bien les camps ?
On ne saura jamais ce que le photographe recherche en tirant les portraits des gens, fermier, un couple qui se marie, entre autres. Hubert Mingarelli laisse le lecteur imaginer, en fait, à lui de se poser les questions. C’est très surprenant !
Je me suis demandée tout au long du roman, où l’auteur voulait m’emmener, sans vouloir me donner de réponse et étrangement c’est ce qui a fait la magie du livre. J’en suis sortie avec un tas de questions, un cerveau en ébullition à force de formuler des hypothèses…
L’écriture est belle, et ce livre m’a vraiment plu… Il m’a donné envie d’explorer l’univers de cet auteur que je ne connaissais pas du tout, alors qu’il a une quinzaine de livres à son actif, dont l’un a obtenu le prix Médicis.
Un grand merci à NetGalley et aux éditions Buchet-Chastel qui ont bien voulu m’accorder leur confiance.
#LaTerreInvisible #NetGalleyFrance
https://leslivresdeve.wordpress.com/2019/10/16/la-terre-invisible-de-hubert-mingarelli/
Tonitruant de virtuosité, « La Terre invisible » est un livre d’images dans lequel chaque paragraphe vibre sous une photographie éclatante de talent. Un diamant. Un livre joyau.
Hubert Mingarelli est fidèle à sa facture, en campant deux personnages choisis parmi des gens ordinaires au sortir d’un traumatisme et étirer l’encre de sa plume sur le très haut de la crête de l’âme humaine avec un silence bruyant de non-dits. Au-delà de nous entrainer dans les méandres de l’inconcevable, il va nous embarquer en terre étrangère et dans la grande Histoire.
Il va situer ses deux héros dans l’Allemagne de 1945 occupée par les armées alliées, un mois après l’armistice.
L’un est un reporter photographe de guerre anglais qui aura été un des premiers témoins de la libération d’un camp d’extermination des juifs par les nazis, image ombrée par quelques touches non appuyées qui avec peu de mots dégage une atmosphère d’horreur.
L’autre, O’Leary, est un tout jeune appelé mais qui arrivera dans son bataillon alors que les combats ont déjà pris fin. Ce sera un soldat novice, ignorant tout de la guerre, et qui sera désigné par son chef pour être le chauffeur du photographe.
Ce photographe qui ne parvient pas à rentrer chez lui car choqué par ce qu’il a vu, il veut prendre des photos de cette population allemande de retour en temps de paix et comprendre qui sont ces gens qui ont laissé faire, voire participé et servi, à un tel génocide.
Avec brio, Hubert Mingarelli nous offre un album de photos bruyantes de la guerre qui vient tout juste de finir. Des photos qui nous rattrapent dans la distance pour venir nous bouleverser encore.
Ces deux personnages se découvrent dans un relief de non-dits qui donne une résonance tonitruante au silence des photos qui parlent d’elles-mêmes.
Des citoyens allemands devant leurs maisons qui sont passés de la folie meurtrière à la tranquillité mais ce très récent répit est auréolé d’un flou d’inquiétude devant ceux qui hier étaient encore leurs ennemis et aujourd’hui se présentent en amis.
Comment tout cela a-t-il pu arriver ? Comment va-t-on revivre ensemble? Comment cette misère, cette plaie misérable laissée béante et à vif devant chaque maison va-t-elle se résorber pour faire oublier l’horreur, pour revivre ensemble, se côtoyer à nouveau sans haine et sans crainte l’un de l’autre, sans reproche dans les regards méfiants de chacun, ennemis passés qui lavés par les grosses pluies d’un orage terrifiant vont recréer une belle lumière amie et chaleureuse qui réunira les gens dans la quiétude du long voyage qui nous attend tous, symbolisé par ce trajet tracé en Terre invisible. Inconnue. Imprévue.
La route parcourue par les deux Anglais est riche d’une belle nature estivale verdoyante et fleurie traversée par des artères d’eau. Elle mène à une grande Histoire vertigineuse où l’Humain, ce grand inconnu, peut devenir impitoyable envers son semblable et lui arracher sa tranquillité comme on arrache un poisson de l’eau en le laissant souffrir à l’agonie sur une herbe sèche, juste par cruauté gratuite ou ignorance de la souffrance, par petitesse d’esprit, veulerie ou peur et être habité par un élan barbare qui dénué d’intelligence et de pitié, vidé de toute empathie, ébranlera le monde jusqu’à une indignation démesurée.
Avec une écriture juste et sans tache, l’auteur nous livre un texte intense mais sans pesanteur qui nous tient en haleine suspendus sur le haut d’une crête de l’âme humaine qui s’étire sous sa plume jusqu’à ce que j’en sorte essorée mais finalement rassurée face au nouvel horizon qui se profile devant nous, là-bas.
« La mer n’est pas loin, O’Leary. »
Ce dernier roman d’Hubert Mingarelli est en lice pour des prix en pagaille et retenu parmi les 9 finalistes en vue du prix Goncourt. Cela me ravit et me rassure que le talent d’un écrivain hors norme soit reconnu.
Je tiens ce livre pour chef-d’œuvre avec sa part d’humanisme, gardien de notre fraternité, celle qui nous sauve de la haine.
« Soudain je me penchai vers Collins et lui dis dans un demi-sommeil et sans vraiment réfléchir :
Collins, qu'est-ce que nous avons vu là-bas ? »
Juillet 1945, au bord du Rhin, aux fenêtres de l'hôtel le drapeau britannique est suspendu, depuis un mois la guerre est finie. le narrateur photographe de guerre, accompagné de O'Leary un jeune soldat qui lui sert de chauffeur, décide d'aller photographier les gens de ce foutu pays.
J'avais eu beaucoup de plaisir à lire un repas en hiver, mais là je dois reconnaître que ce n'est qu'une fois ce court roman achevé que j'ai compris le sens de cet étrange récit. Hubert Mingarelli nous entraîne dans un voyage dans l'Allemagne vaincue et dévastée. L'auteur sait créer une atmosphère de fin de guerre où les images des camps de concentration libérés sont encore présentes. Rien n'est dit, tout est suggéré, c'est sans aucun doute ce qui fait la force de ce livre, mais aussi la difficulté à l'appréhender.
L'errance d'un homme qui se demande comment poursuivre sa vie après avoir vu l'horreur et qui se demande comment cela à pu arriver.
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