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Cet essai est à la fois un livre sur Stendhal, une réflexion sur le roman et une méditation sur le XIXe siècle ; il est porté par la question de l'ambition qui livre sans doute, dans la fiction romanesque comme dans la réalité politique, une des clés pour comprendre ce siècle, apparemment loin de nous et cependant si proche. La "grande dispute", selon Stendhal dont ce sont les propres termes, c'est celle qui tourne autour du "mérite" : il s'agit, dit-il, de la question psychologique et collective (sociale) qui agite le XIXe siècle, particulièrement en France. Les "capacités", comme l'époque s'exprimait, s'affirment avec le progrès des connaissances, des techniques, de la vie matérielle - et les jeunes bourgeois entendent bien conquérir les places et les coeurs à portée de leur talent ; ils n'acceptent plus le mépris d'une aristocratie qui, rentrée d'exil, refuse toujours en bloc la donne de la nouvelle ère ouverte avec 1789. La dispute est un combat pour exister, mais aussi un débat avec soi-même.
Cette thématique marque spécialement le roman romantique français, Balzac, Stendhal, Hugo, et le personnage de l'ambitieux est désormais celui autour duquel s'ordonne l'action ; c'est à lui que le lecteur s'identifie, avec lui qu'il sympathise. Julien Sorel, le héros du Rouge et le Noir, accomplit le type de l'ambitieux, non sans paradoxe puisqu'il cultive sa singularité inimitable. Michel Guérin se réfère d'ailleurs au chefd'oeuvre d'Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, qui, analysant l'ambition - passion du siècle qui s'exerce bien différemment selon qu'on l'observe en Europe ou au Nouveau Monde - explique qu'elle a pour condition l'égalité. On appellera ambitieux l'homme qui saisit, pour se distinguer, l'incitation d'une société dynamique travaillée, plus que par le désir de liberté, par la passion de l'égalité. Il faut au héros moderne des semblables qu'il puisse faire juges et témoins de sa supériorité. Il y a toutefois ambitieux et ambitieux : les "loups" balzaciens cherchent à posséder et à en imposer par l'apparence, alors que Julien Sorel ne veut pas avoir (même pas un nom), il veut être (conformer son existence à un imaginaire). Ce qui est passionnant dans l'ambition, n'est-ce pas justement qu'elle rime avec imagination ? Ce n'est pas de gagner et d'arrondir sa fortune qui la définit, c'est d'être mue intérieurement par un véritable souci de rénovation personnelle. Dans ses formes les plus sublimes, l'ambition est transfiguration. Au passage, question à notre propre temps : est-il encore capable de cette générosité d'idées et d'images pour le plaisir et l'honneur ?
L'essai de Michel Guérin est à la fois un (deuxième) livre sur Stendhal, une réflexion sur le roman et une méditation sur le XIXe siècle. La figure de l'ambition livre sans doute, dans la fiction romanesque comme dans la réalité politique, une des clés pour comprendre ce siècle, apparemment loin de nous et cependant si proche par certains côtés.
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