"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Après la dissolution de sa troupe de théâtre, la jeune Dagny (alter-ego de Hennings) se retrouve à Cologne, une ville qu'elle ne connait pas, seule, sans le sou, ni aucune perspective d'avenir. Elle y croise par hasard un ancien ami comédien, devenu souteneur, qui l'introduit dans un « café » de la ville. Pour Dagny, artiste idéaliste, naïve et pétrie de religiosité, c'est le début d'une plongée brutale dans un monde dominé par les hommes, où « tout s'offre et se paie », à commencer par le corps des femmes.
Sombrant peu à peu dans la folie, elle ne trouvera son salut que dans la camaraderie de ses compagnes d'infortune, dans ses souvenirs, et dans la foi.
"La flétrissure", c'est un roman de Dostoïevski écrit par l'un de ses personnages.
Emmy Hennings est une autrice allemande née en 1885 et morte en 1948.
Reconnue et admirée par Herman Hesse, elle avait, cependant, sombré dans l’oubli. La maison d’édition les Monts Métallifères a eu l’excellente idée de faire traduire et connaître ses œuvres en France.
Ici, dans ce roman que l’on pourrait qualifier d’autofiction, l’autrice, à travers le destin de Dagny, nous raconte ses propres années en tant prostituée.
La jeune Dagny est comédienne mais suite à la dissolution de sa troupe, elle se retrouve dans les rues de Cologne, dans les années 1920, affamée, sans le sou, sans travail. Pour elle, une seule option va s’offrir afin de tenter de survivre : la prostitution…
Bienvenue dans un roman sombre, étrange, complètement différent de ce qu’on peut lire habituellement.
C’est un récit à la structure atypique, d’une grande pudeur. On retrouve Dagny avant ou après les passes, comme si toute cette flétrissure n’était pas racontable.
On flotte d’un événement à l’autre, en explore l’intériorité de cette jeune femme qui est contrainte à vendre son corps, à être actrice alors que sa morale s’y oppose. Elle cherche la foi et Dieu mais ne s’en sent pas digne à cause de sa vie dissolue.
La plume est d’une grande beauté, très particulière ce qui donne un rythme étrange au récit et qui pourra ne pas plaire à tout le monde.
Pour ma part, j’ai été séduite par cette plume introspective, qui donne des scènes d’une absolue beauté mais aussi d’un grand désespoir pour évoquer le sort des prostituées lorsqu’elle vieillissent ou lorsque Dagny s’efforce de nettoyer une pièce donnée par un client avant de la donner à un serveur, pour ne pas le contaminer avec sa flétrissure.
J’ai beaucoup aimé cette découverte et je vous conseille ce livre d’Emmy Hennings.
Ce classique-né est un talisman. Ce genre de livre rare qui perdure dans le temps. Une référence éditoriale, la gloire littéraire.
Quelle chance infinie de savoir dans le monde des livres cette ligne éditoriale remarquable et attentionnée à la beauté des textes.
Emmy Hennings est gémellaire de Dagny, l’héroïne de ce livre envoûtant. Il frôle l’autobiographie, l’aquarelle de la vie tourmentée d’Emmy Hennings. Les vacillements d’une époque d’implacable cruauté et la lucidité des vulnérabilités.
Le roman trace l’aube d’un vingtième siècle d’ombre et de gris.
L’apothéose d’une écriture cardinale, mélancolique, magistrale en conscience.
L’obscurité sociale, compliquée et la tentation de survivre avec une capacité rigoureuse et vitale. L’enjeu même d’une magnanimité mise à rude épreuve.
C’est en cela que règne « La flétrissure », un récit puissant, en premier plan, furieusement sincère. Le saut dans la flaque des aspérités. La fêlure des jours de combat et de faillite.
Dagny est à Cologne. Seule et perdue, sans repères, un banc public pour armure et habitacle. Le regard qui scrute le moindre rai de lumière. Brebis égarée, loin de ses virginales promesses à elle-même et à la vie. Le glas carillonne sur les pans d’une ville où Dagny est anonyme.
Démunie et fébrile, immense de ténacité, elle puise dans ses valeurs, ses arguments de dignité, ses mobiles de résistance.
« Quand je me sens ainsi, étrangère au monde, mes mains deviennent si froides qu’elles s’agrippent aux choses dans une sorte de crampe. Non, en vérité je ne peux plus rien tenir, je ne suis qu’un étonnement gourd qui marche tout seul dans les rues. Quels mots dois-je dire quand je sonne alors à la porte d’une maison ? »
« Deux puissances en nous ? Le bien et le mal ? Tenir, retenir, c’est tout ce que je veux. Recueillir le bien, le porter et le mettre à l’abri en lieu calme, dans un pays où tous les fardeaux s’allègeront. À quel autre métier pourrais-je me destiner ? Je n’en connais pas d’autre. »
Elle se réfugie dans un café, toujours le même. Comme un châle sur ses épaules, cache-misère. Elle va de fil en aiguille, plonger dans un monde de prostitution.
Son âme à l’instar d’un oiseau qui s’envole pour la première fois. Elle sait son existence en décadence, mais ce qui l’habite et la hante est l’éloge de sa pureté.
Sa foi comme force, son intelligence est la consécration des philosophies. Ne jamais être Diogène et cynique mais nihiliste, presque virginale.
Dagny, artiste-bohème, christique, est l’emblème des vacillements et des idiosyncrasies sociales. Elle qui foulait les planches, comédienne, vive et libre. Sa plongée dans l’abîme, vaincre les vents mauvais et revivre. Mais elle cherche encore l’outil pour contrer la flétrissure. Ses poches sont vides. Elle surnage entre les rives de la prostitution, en décalage avec la réalité. La bouée de sauvetage.
Le défi de grandeur est un tour de magie, cela ne marche pas à tous les coups. Tout dépend du regard et de la prise. Elle est ici. Superbe et divine, altière et combattante. Femme qui couvre les autres de son même cercle, avec ses bras en cerceau et en tendresse absolue.
Sous le prisme politique et sociétal, Emmy Hennings démonte les carcans. Rassemble l’épars des possibles. Donne la parole, aux femmes soumises, prostituées, proies fragiles mais divines.
On aime les références, les citations, les clefs et le double langage d’une intellectuelle surdouée et littéraire. Une autrice qui cède le piédestal à son double cornélien.
C’est un livre bleu nuit qui navigue entre « Renata » de Catherine Guérard, et l’intemporalité d’une littérature de souffle et de sève, de puissance et de gloire spéculative.
« Je ne suis ni une faute ni un mérite. De grâce, ne pensez pas cela de moi… Car les fautes et les mérites, on peut les juger...les condamner aussi. Je ne suis pas intentionnelle. »
« Quel espèce d’arbre êtes-vous donc ? » « Peut-être un petit saule pleureur, dont les branches se penchent en pleurant sur un monde qui a perdu sa simplicité. »
Dagny est d’écueils et de complétude. Le cheminement à l’instar d’un fil d’Ariane, empreint de mansuétudes, de prières intérieures, comme un halo dans la nuit noire.
Bouleversante, éveillée aux battements de son propre cœur, elle est une biche traquée par les misères humaines. L’existentialisme est sa vertu. Le tour de force pour sa survie.
« La flétrissure » est un livre qui se lit dans le crépuscule. Son aura est magnificence.
C’est un récit universel tant il touche à l’humanité et au tremblant de ses hôtes en désespérance. Prodigieux, intime et vaste comme la douleur, il est ce que la vie cache au fond des bois, la désespérance et la flétrissure.
Un livre inestimable. Traduit de l’allemand par Sacha Zilberfard, publié par les majeures Éditions Mont Métallifères.
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