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«Je n'ai jamais vu autant de corbeaux qu'autour d'Isabelle. Dès l'aube ils noircissent les trois grands chênes qui dominent sa maison. Ils restent là des jours à observer ses gestes, ses pas, la douceur de sa vie. Je suis comme eux, je les comprends.» René Frégni marche chaque jour sur des chemins où ses filles ont couru, grandi, avant de partir vivre leur vie. Seul désormais, il sillonne inlassablement une Provence brûlée par l'été et le gel. Dans un décor âpre et sauvage, il croise d'étranges silhouettes ; un vieil homme sans mémoire regarde comme des fantômes les arbres qu'il a plantés, un truand qui a passé vingt-sept ans dans l'ombre des prisons lui raconte les lambeaux solitaires et violents de sa vie, une femme d'une mystérieuse douceur traverse des champs de neige suivie, de loin en loin, par un nuage de corbeaux. Comme une suite à Elle danse dans le noir, ce journal est un chant d'amour qui monte des vastes déserts de pierre et de lavande que l'on découvre dès que l'on quitte Banon, Manosque ou Moustiers-Sainte-Marie, un chant mélancolique et lumineux ; un voyage parfois cruel vers la tendresse et la beauté.
Le nid se vide, apprivoiser le silence
Ce livre est une étreinte, il vous enveloppe comme les premiers rayons du soleil qui vous apportent lumière et chaleur.
Cet instant de douceur où nous sommes suspendus dans un cocon entre l’infini et la paix de l’âme.
« Ma fille est parie vivre dans une autre ville, vivre sa vie. Dix-huit ans avec ma fille, dans cet appartement au milieu des tuiles, des cheminées et des oiseaux. Maintenant je vis avec le silence. »
C’est ici et maintenant, que ce père, cet homme va tenir le journal de ses journées de flottement, de son changement d’état.
Avec René Frégni la sensualité est là, celle des corps, mais surtout celle de la nature.
Qu’il narre les indiscrétions vues de sa fenêtres concernant ses voisines, ou qu’il vous raconte la taille des oliviers, le changement des saisons, chaque geste, chaque regard est d’une volupté absolue.
La douceur s’installe dans les rituels qu’il a pour venir en aide à « sa fiancée des corbeaux », l’institutrice qui s’occupe de son père habité par Alzheimer.
René s’occupe de Lili, ils se promènent à pas lents et il écoute ce vieil homme vivre ses souvenirs, ceux des années de jadis .
Il y a aussi l’amitié avec Tony, ancien truand, haut en couleurs, très touchant et véritablement étonnant.
Les lectures sont là, elles aussi ponctuent les journées, les nuits, elles sont de tous les instants. Et comme à chaque fois quand René nous parle littérature, il ouvre les portes du monde, il sait nous dire l’importance des mots, leur richesse.
Finalement, le lecteur découvre tous ces petits riens (en apparence) qui font la vie.
Et le silence ne se remplit pas, il se savoure, et développe notre acuité sur le monde, notre regard se pose sur l’essentiel, la nature, l’amour et l’amitié prennent leur juste place, il nous apprend à cultiver l’authenticité.
« Les collines et les plaines sont grises, gris les grands arbres nus, le moindre brin d’herbe, et cependant tout est aussi beau qu’il y a un mois. Le gris de l’hiver n’est pas triste, il est primordial, c’est la couleur de ce vaste silence qui annonce dans chaque racine, pierre ou goutte d’eau quelque chose d’irrésistible. »
Finalement, quand le dernier enfant quitte le nid, il y a l’absence, la nostalgie des années liées à celles des enfants, mais c’est une porte ouverte sur autre chose, sûrement nos dernières années où il est bon de vivre au plus près de ce que nous sommes profondément, et savourer les instants où la progéniture revient au bercail avec la satisfaction de voir ce qu’elle est devenue.
La beauté de l’écriture de René vous apporte la plénitude.
Vous lisez une phrase, la relisez, vous vous perdez dans la résonnance des mots, vous vous retrouvez, les mots vous ont envahi, les émotions sont à fleur de peau, vous êtes loin très loin et vous vous sentez merveilleusement bien.
Si la vie est le temps qui s’enfuit, alors saisissez-le, faites-vous des bulles de bonheur, la fugacité ce n’est pas la perte mais le renouveau de l’instant.
©Chantal Lafon
https://jai2motsavousdire.wordpress.com/2022/07/29/la-fiancee-des-corbeaux/
Un bonheur. Une paix de l'âme.
Ah, Isabelle ! C’est elle la fiancée des corbeaux. Une amie très proche de René Fregni.
Il y a Lili, le père d’Isabelle, atteint d’Alzheimer.
Marilou, sa fille chérie partie à Montpellier.
Tony, l’ami ex-taulard.
Les voisins d’en face, qu’il mate impudiquement.
Et plein d’autres encore qui peuplent sa vie.
Tous ces gens il les raconte dans un de ses innombrables cahiers qu’il nous offre à lire.
Et quel beau cadeau !
Il se raconte, raconte ses amis, sa mère, la nature sublime, ses auteurs favoris…..
Et l’on découvre un homme sensible, touchant, sincère dont on aimerait faire un ami.
C’est le deuxième livre que je lis de lui en peu de temps, et dès que l’occasion se présente, je lis les autres.
Comme une sorte de journal intime, comme une ode à la Provence, à l'amour, à la cruauté des hommes et des hivers.
« Nous écrivons tous un jour ou l'autre dans un cahier pour réveiller la partie de nous-mêmes qui ne s'exprime pas dans la vie, »
On retrouve René FREGNI à Manosque et autour, attentif aux signes de la nature, à ses beautés, aux émerveillements du quotidien : les amandiers en fleurs, un bol de café, un feu de sarments au milieu des vignes...C'est doux et délicat, presque plus féminin que masculin. Ce sont un peu les mots de Giono mais avec un fond un peu plus âpre, plus proche de la réalité des hommes.
Parce qu'il y a aussi Alzheimer qui a enlevé Lili, le vieux monsieur, parce qu'il y a aussi des hommes en prison qui écrivent, un calibre.38 dont les balles se plantent dans un vieux chêne, parce qu'il y a les corbeaux en plus des mésanges ou des pigeons que nourrit la vieille dame de l'immeuble, et ce trio étrange qu'observe le narrateur par ses fenêtres, une jeune fille qui grandit plus loin et les librairies qui ferment...
« Le printemps est une cathédrale de feuillage et de désir qui surgit dans les ruines de l'hiver. »
Des miscellanées poétiques ponctuent ce journal.
« (…) j'écris comme je marche, au petit bonheur des chemins que trace mon stylo.(...) »
« Je ne suis ni pire ni meilleur que les autres, j’écris pour être aimé, pour comprendre ce chaos, notre folie, pour retenir ceux qui s’en vont. »
Il faut se laisser bercer par les mots, prendre le temps et la lumière, oublier la fureur du monde tapie dans les ombres, et errer sur les chemins de Provence.
Parfait !
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