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« Józefina Szeliska, dite Juna, fut entre 1933 et 1937 la fiancée de Bruno Schulz, peintre et écrivain de génie, âme tourmentée, assassiné en 1942 dans sa ville natale de Drohobycz, en Pologne. Elle fut sa compagne et sa muse. Mais Bruno Schulz était incapable d'aimer, sinon de vivre. Accaparé par sa seule véritable passion - son oeuvre -, il devait inexorablement s'éloigner de Juna, et du monde. Elle ne l'oublia jamais, et continua de vivre avec son fantôme jusqu'à sa propre disparition, en 1991. De cette histoire, elle ne dit rien, à personne, pendant près d'un demi-siècle. Après guerre, à la rubrique «état-civil» des formulaires, elle écrivait : «seule». Voilà pour les faits. Tout le reste n'est que le jeu de l'histoire, de la mémoire et de l'imagination. » - A. T.
Dans quelle mesure le souvenir, la mémoire, et l’imagination peuvent-elles concourir à la restitution d’une vie ? Ou la travestir par le mensonge ? C’est ce processus passionnant que décrit Agata Tuszynska dans son roman « La fiancée de Bruno Schulz » .Mais qui est Bruno Schulz ? Nous le découvrons au cours des différentes phases du récit, composé de trois parties distinctes : L’avant-guerre, se déroulant dans la ville de Drohobycz, dans les Carpates polonaises, et à Varsovie, dans les cercles littéraires et artistiques de la ville, la période de l’occupation et l’après-guerre qui clôt le récit .Jozefina Szelinska, dite Juna, muse, compagne de Bruno Schulz, le fréquenta de 1933à 1937. Cette dernière est professeure, elle aime, comme lui, Kafka et Rilke qu’ils lisent tous deux dans le texte.
Ce qui fascine d’emblée le lecteur dans ce roman, c’est de constater que rapidement, d’une manière presque évidente, Bruno Schulz, auteur de nouvelles et de romans, dessinateur, est habité par la peur, des crises d’angoisse, de profonds doutes : « Je ne me rendais pas compte que les rues inconnues le fatiguaient, qu’il était effrayé par le trafic urbain et la foule (…) Il se recroquevillait comme un escargot dans sa coquille de peur que quelqu’un l’écrase .J’ai compris cela trop tard . »
Juna tente aussi de détourner Bruno du judaïsme, pour lui faire rencontrer Dieu par le catholicisme, pour le mettre à l’épreuve, lui et l’amour qu’il éprouve pour elle : « Ce grand et éternel garçon avait besoin de moi, d’une femme mûre, attirante, capable de le guider .Comme Junon. Voire plus encore. »
Bruno Schulz comptait également sur Juna pour dompter ses fantasmes sexuels, et éprouve parallèlement une crainte de l’insistance de Juna à le faire déménager vers Varsovie, lieu plus propice à l’éclosion des talents littéraires que sa ville natale de Drohobycz, marquée par le provincialisme des mentalités .Trop absorbé par son œuvre, trop timoré, trop indécis, Bruno Schulz ne sera jamais en situation d’aimer vraiment Juna .Il meurt, assassiné, pendant l’occupation , qui est traitée dans la seconde partie du livre .On remarquera les passages consacrés à la mise en place de la répression antisémite en Pologne occupée, la description de l’insurrection de Varsovie en 1944 qui a abouti à la destruction totale de cette cité .
Ce qui est à noter dans ce récit, marqué par l’amertume, l’impossibilité des sentiments d’être vécus pleinement en raison d’obstacles personnels, historiques, ou culturels, est l’évocation du monde culturel polonais de l’avant-guerre : il y est évoqué l’activité de Gombrowicz, de Zofia Nalkowska, Wittlin, Wankowicz, Maria Kuncewiczowa, organisatrice de réceptions littéraires .Autre particularité : le récit est fait alternativement à la première et la troisième personne du singulier, lorsqu’il s’agit de Juna, comme pour marquer encore davantage cette distanciation d’avec cet homme, décidément insaisissable…
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