"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Quelques missions ponctuelles pour des travaux routiniers d'entretien, mais surtout, une fois par an, à l'arrêt de tranche, les grandes manoeuvres, le raz-de-marée humain.
De partout, de toutes les frontières de l'hexagone, et même des pays limitrophes, de Belgique, de Suisse ou d'Espagne, les ouvriers affluent. Comme à rebours de la propagation d'une onde, ils avancent. Par cercles concentriques de diamètre décroissant. Le premier cercle, le deuxième cercle... Le dernier cercle. Derrière les grilles et l'enceinte en béton du bâtiment réacteur, le point P à atteindre, rendu inaccessible pour des raisons de sécurité, dans la pratique un contrat de travail suffit.
Ce contrat, Loïc l'a décroché par l'ANPE de Lorient, et je n'ai pas tardé à le suivre ».
Ce livre qui a inspiré la réalisatrice Rebecca Zlotowski pour "Grand Central" avec Tahar Rahim, Léa Seydoux et Olivier Gourmet dans les principaux rôles, nous plonge dans l’univers finalement trop peu connu des travailleurs du nucléaire.
Contrairement au film qui situe l’action, en extérieurs, autour de la centrale ardéchoise de Cruas et sur les rives du Rhône, Élisabeth Filhol nous emmène d’abord à Chinon, au bord de la Loire, puis au Blayais, en Gironde..
Dès les premières lignes, nous apprenons que « trois salariés sont morts au cours des six derniers mois », et que, sur les 2 000 personnes employées sur place, la moitié seulement est sous statut EDF. Ainsi, l’auteure s’attache aux pas d’un intérimaire, Yann, qui s’exprime à la première personne mettant le lecteur au cœur de la vie de ces ouvriers salariés des sociétés prestataires de services pour les CNPE (Centres nucléaires de production d’électricité).
Pour « cette chair à neutrons. Viande à rem », le souci principal est de ne pas dépasser la dose maximum d’irradiation sur douze mois, soit 20 millisieverts, car cela signifie arrêt brutal du contrat, mise au vert. L’irradié, appelé DATR (Directement affecté aux travaux sous rayonnement) est d’ailleurs aussitôt remplacé.
Élisabeth Filhol n’oublie pas les problèmes de logement pour ces hommes qui se déplacent d’un arrêt de tranche à un autre afin d’assurer la maintenance et la recharge en combustible. Le camping, en caravane, est le plus souvent choisi, en colocation, car il est trop difficile de trouver une chambre libre à proximité.
Au fil des pages, nous rencontrons aussi ceux qui agissent pour alerter l’opinion sur les dangers du nucléaire et dont Yann ne se sent pas solidaire. Son souci principal, c’est le dosimètre qui risque, à tout moment, de s’affoler et de compromettre des mois de travail.
« Une énergie colossale, contenue, tout est là, dans un confinement qui ne demande qu’à être rompu pour donner toute sa mesure. » Ce livre nous rappelle tout ce que contient de menace, ce qui est maintenant devenu assez familier dans nos paysages.
"La Centrale" est un livre court, incisif, percutant, émouvant, à lire absolument tellement il ouvre des portes sur un monde si proche de nous et pourtant méconnu.
« Garantir le bon fonctionnement de 58 réacteurs implantés dans 19 centrales nucléaires réparties dans l’Hexagone… C’est le défi que relève EDF en programmant les arrêts de tranche, ces arrêts périodiques des centrales nucléaires qui permettent de renouveler le combustible et de procéder à des opérations de contrôle et de maintenance. Et cela sans impact pour les clients. »
Ca c’est le texte qu’on trouve sur le site EDF dédié à l’entretien des centrales nucléaires destinées à la production d’électricité. Bien entendu le site est à l’usage des consommateurs, on n’y parle donc pas de l’impact sur les ouvriers de maintenance…
Avec La Centrale, on pénètre un monde étrange, marginal, dans lequel évoluent de jeunes types (peu de femmes semble-t-il dans cet univers...) qui, à l'instar des Compagnons du Devoir ou des Compagnons du tour de France, sillonnent le territoire français en suivant l'implantation des centrales nucléaires : ce sont les ouvriers de la sous-traitance dans le nucléaire qui nettoient les réacteurs des centrales lors des « arrêts de tranche », ces périodes ou les centrales s’arrêtent pour des missions d’entretiens. Cette population ouvrière travaille dans des conditions qui laissent rêveur. Soumis aux rayonnements radioactifs lors de leurs activités, ils subissent en plus une pression énorme : chaque journée d’arrêt de tranche d’une centrale coûtant un million d’euros à EDF, tout doit aller très vite. Les contraintes liées à la sous-traitance sont énormes. Certains d’entre eux sont nomades et se déplacent au gré des chantiers. Les doses radioactives ingérées sont importantes…
Au-delà des risques directs liés au métier (absorption élevés de doses radioactives) qui font des ces ouvriers des espèces de kamikazes, Elisabeth Filhol expose ce système qui consiste à sous-traiter l’emploi des ouvriers de maintenance par des agences d’intérim : une manne pour des jeunes types peu diplômés ayant connu des périodes de chômage, à condition de pouvoir se déplacer et se loger à ses frais dans toute la France, de supporter les conditions de logement précaires, et surtout de garder son sang-froid en toutes circonstances sous peine de s’exposer à la dose de trop qui les exclut du circuit ; pas d’émotion dans ce récit, des faits, des faits glacés soulignés par une écriture sèche et percutante, dans des phrases au long cours qui deviennent tout à coup très courtes.
Ce roman d’un monde très masculin écrit au féminin m’a rappelé et par le thème et par l’écriture, le roman de Maylis de Kerangal, « Naissance d’un pont » et j’ai beaucoup apprécié l’écriture d’Elisabeth Filhol.
Et si la sûreté nucléaire dont nous sommes si fier laissait à désirer ? Nous suivons les pas d'un intérimaire du neutron, spécialisé dans l'entretien de réacteurs nucléaires, prisonnier d'un poste lucratif mais précaire et dangereux dans une Centrale qui les broient. C'est engagé. Intéressant.
A l'heure des accords d'Europe Ecologie et du PS, où l'avenir du nucléaire semble réduit à un marchandage politique inquiétant et qu'au Japon, le drame de Fukushima est enterré sous la chape de plomb de la désinformation gouvernementale, je n'ai pas résisté à l'envie de me plonger dans "La centrale", le roman d'Elisabeth Filhol qui a obtenu l'an dernier le prix France Culture/Télérama.
Plongé est un bien grand mot car, ce texte qui nous raconte le quotidien d'intérimaires du nucléaire chargés des pires travaux de nettoyage de nos centrales, est un peu difficile d'accès. L'écriture, aussi glaciale que le coeur du réacteur peut être brûlant, nous garde à distance des personnages. Et nous avançons dans ce roman, lestés par une combinaison anti-radiation, suivant le travail terrifiant de ces hommes qui, pour un salaire dérisoire, prêtent leur vie à faire un sale boulot qui fait d'eux des nomades, sans famille, sans maison et presque sans amis.
La mise en évidence de ces soutiers du nucléaire est un bon sujet mais, ici, traité de façon tellement froide, que je n'ai jamais vraiment été en empathie avec le personnage principal, ni avec ses camarades de galère.
On reste à distance, on ne connaît rien de leur passé, de leurs pensées. On a l'impression que ces hommes sont entrés en religion et que leur vie ne tourne qu'autour des centrales qu'ils visitent annuellement, au gré des différents arrêts de tranche.
Cependant, pour ses descriptions réalistes de ces centrales et de leur environnement, pour ses détails techniques égrenés au fil des pages et pour son évocation de ces précaires du nucléaire, ce roman est bien entendu à lire par respect pour ces hommes qui risquent leur vie, en silence, dans l'indifférence générale.
E.Filhol est née le 1er mai 1965 à Mende en Lozère. Études de gestion à l’université Paris-Dauphine. Expérience professionnelle en milieu industriel : audit, gestion de trésorerie, analyse financière et conseil auprès des comités d’entreprise. Elle vit aujourd’hui à Angers.
"La Centrale" a été élu meilleur premier roman de l'année 2010 par le magazine LIRE.
Yann (le narrateur) est un jeune ouvrier spécialisé dans les travaux en centrales. Il traverse la France de mars à octobre d'une centrale nucléaire à une autre (ici Chinon et Le Blayais) comme des milliers d'autres, intérimaires et précaires pour accomplir son boulot. "L'exploitant, la sous-traitance, et les instances de sûreté, au total, trente-cinq à quarante mille hommes dispersés sur tout le territoire".
Le narrateur est exposé comme ses collègues de travail, à des risques permanents tels que l'exposition aux radiations et aux doses considérables qu'ils savent mortelles. "Ce que chacun vient vendre c'est ça, vingt millisieverts la dose maximale d'irradiation autorisée sur douze mois glissants."
Il y a aussi la centrale, froide et imperturbable mais aussi "impénétrable (car archi sécurisée), indestructible (…) Ce n'est pas qu'une question de taille (…) une sensation de silence. A cause du poids. Du contraste."
Elisabeth Filhol plonge le lecteur de manière très réaliste dans l'univers (mal connu) de l'industrie nucléaire. A tel point qu'on a le sentiment de travailler, vivre, subir le stress et la peur des ouvriers au quotidien. L'extrême précision documentaire peut sembler parfois rébarbative mais je ne peux que féliciter l'auteur pour ce premier roman remarquable qui restitue le quotidien terrifiant des travailleurs du nucléaire soumis et voués au silence : "il faut aller marcher là-bas, disait Loïc, le long de la mer, se laver de toute cette saleté [mais] ça ne se nettoie pas".
De missions intérimaires, en missions intérimaires, le narrateur nous plonge dans le travail au sein des centrales nucléaires françaises.
C'est un roman étonnant. Par le thème d'abord : la centrale nucléaire et son environnement -non, pas l'écologie ! L'environnement humain plutôt ! Peu de technique nous est épargnée et c'est là que j'ai un peu décroché : la fission, l'explication de Tchernobyl et toutes les manipulations des uns et des autres ne m'ont pas plu.
Par contre, tout ce qui concerne le questionnement des employés sur le fait d'aller bosser dans ces centrales dangereuses, dans des conditions pas toujours enviables est vraiment bien rendu.
Par le style ensuite : Elisabeth Filhol fait preuve d'une belle écriture : elle use de phrases très longues dans certains chapitres, de phrases très courtes dans d'autres. Elle alterne brillamment. Cela donne des rythmes différents, un vrai intérêt, plus que l'intrigue elle-même.
Pour résumer : je n'ai pas aimé le thème du livre, mais par contre, j'en ai vraiment apprécié le style. Heureusement d'ailleurs, parce que sans cela, j'aurais reposé le livre avant la fin. Auteure qui écrit là son premier roman, mais qui j'espère en écrira d'autres que j'ouvrirai avec grand intérêt.
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