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Après avoir passé à la moulinette l'histoire du 20e siècle, Patrik Ourednik plonge cette fois son lecteur en plein 19e siècle. Du moins en apparence, car l'on comprend vite que cette fable drolatique et acerbe qu'est Instant propice, 1855 nous parle de la société contemporaine. Le livre s'ouvre sur une longue lettre d'un de ces utopistes qui, rêvant de dépasser le féminisme, le communisme et même l'anarchisme, décida de fonder au Brésil une communauté où pourrait s'épanouir la société parfaite, dans laquelle les individus seraient entièrement libres. Il doit reconnaître que son projet grandiose a échoué, mais on ne sait pas comment ni pourquoi avant d'entamer la seconde partie du livre. Celle-ci se présente sous la
forme du journal d'un de ces colons "de base" qui, séduit par ces idéaux a décidé de quitter l'Europe pour rejoindre le phalanstère "Fraternitas". Après la théorie, la pratique, et là les choses se gâtent.
Laissant libre cours à son humour dévastateur, Ourednik décrit la façon dont ces utopistes en viennent rapidement à recréer tous les préjugés, les conformismes et les règlements de la société qu'ils ont rejetée. Clivages entre Italiens et Allemands, discussions byzantines entre les anarchistes, les égalitaristes et les communismes, votes interminables pour décider de la façon dont on va voter, etc. La question de l'amour libre, centrale pour tous les protagonistes
- mais surtout les hommes - n'est pas non plus sans poser
quelques problèmes pratiques. Plus le livre avance et plus le rire se
fait grinçant, à mesure que la société idéale devient bureaucratique
et coercitive. Si l'on peut songer à La Ferme des animaux d'Orwell,
jamais Patrik Ourednik ne se fait démonstratif, jamais il ne se dépare
de ce ton pince-sans-rire, de cette noirceur hilarante ou de cette
hilarité désespérée qui ont fait le succès d'Europeana. Qu'on ne s'y
trompe pas pourtant, au-delà de la vision pessimiste de l'homme et
de la société, Instant propice, 1855 est aussi un hommage rendu,
envers et contre tout, à l'utopie libertaire.
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