"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
En Albanie, une jeune femme, Zilia, subit régulièrement les coups de son mari.
Lors d'une crise plus violente que les autres, retranchée dans les toilettes, elle l'abat d'un coup de revolver à travers la porte. Ce qui devrait être la fin de son cauchemar n'est en réalité que le début d'une fuite éperdue. Car en Albanie subsiste le Kanun, une loi du Talion implacable : la famille du mari, exigeant réparation, commandite l'assassinat de la jeune femme et de son frère Hamza. Nul ne peut la protéger.
Zilia part se terrer dans un bidonville et subvient à ses besoins en travaillant dans une décharge. Elle y découvre la mainmise de la mafia sur l'enfouissement illégal de produits toxiques venus d'Europe. Il ne lui reste que l'espoir d'un exil...
L’éminente littérature !
L’Albanie d’ombre et de lumière. « Il y a une jolie fleur non loin de Tirana », Le portrait d’une jeune femme contemporaine, battante et sublime.
Magistral, engagé, ce livre est un murmure, un bruit sourd qui tisse l’épopée d’une terre empreinte de tragédies. L’Albanie et les hommes règnent.
Le patriarcat comme le son d’un violon qui grince et fait vaciller.
La gloire et la force d’un style d’écriture qui fait saillir le vertige de l’émotion.
« Recroquevillée sur elle-même, Zilia a repris connaissance. »
Constamment battue par Dardan, les coups pavloviens, la fulgurance de la haine. Dardan est machiavélique, rude et maltraitant. Le corps de Zilia sous ses mains est une fleur écrasée du pied. Zilia flanche, s’affaisse et réagit au dernier soupir. Elle profite du seul et ultime moment, de sa survie. Elle va abattre avec une arme Dardan lorsqu’il dort, alcoolisé à outrance. Zilia va fuir. Rejoindre son jeune frère, lui avouer le meurtre.
« Elle ôte ses lunettes offertes par Jon, relève son pull, et, découvrant son ventre, et ses flancs meurtris, elle laisse son frère face à ces premiers éléments de justification. Puis elle le fixe droit dans les yeux avant de poursuivre : - Je ne suis pas au tribunal, pas encore, en tout cas. Je suis venue ici parce que tu es mon petit frère et que je n’ai pas d’enfants. Je suis en fuite et je devais te prévenir. »
Le drame plane comme un vautour qui guette sa proie. Les dangers sont pandémiques. Hamza risque sa vie. Victime collatérale. Le beau-père de Zilia et ses fils obéissent au Kanun. La vengeance aux abois, la loi de Talion, sang pour sang. L’Albanie est un long fleuve intranquille et sournois . Hamza est si jeune, à peine vingt ans, mais pressent que jamais, Zilia n’obtiendra la légitime défense et la rédemption par les siens.
Mature, éveillé, solidaire, il va aider Zilia. La famille de Dardan va mener une cabale Chercher Zilia, traquer le moindre indice. Sauver l’honneur de Dardan par un lynchage implacable. Le pouvoir de la force contre le mental de Zilia. Le linge sale lavé en famille. Les intestines filatures, les habitus ancestraux sont les faillites d’un peuple qui boit encore la tasse. Le rite de la mort pour la tueuse d’un membre du clan, où la femme est le néant, effacée d’une généalogie moderne et juste.
Mais que vaut la justice en Albanie, lorsque le kanun est une coutume glaçante. Un pacte avec le diable . Le féminicide comme un abus de pouvoir.
Ce qui frappe dans ce récit, c’est la justesse des mots de Philippe Cuisset. Il rend le jeu fictionnel vivant et l’on est d’emblée dans le criant de l’authenticité. Le regard qui perce la nuit d’une Albanie fragilisée par son idiosyncrasie de tumulte et d’inégalités envers la femme.
Zilia va fuir. Se réfugier dans un endroit improbable. Se fondre en mimétisme dans une décharge à ciel ouvert. La poubelle de l’Europe, les détritus comme une cache. L’endurance face à la puanteur. Les mains sales, mais le cœur de plus en plus léger, à l’instar d’un contre-poids. Elle va se terrer dans ces monticules de tôles et de blessures. Elle va faire des rencontres fortuites. Comprendre l’envers du décor d’un pays si beau, mais si pauvre. Pris entre les mailles d’un système de corruptions.
Zilia pressent qu’il se passe quelque chose de grave. Des produits toxiques sont enterrés illégalement. Elle va se lier avec Rasim Istrefi, un journaliste qui enquête et veut prouver par un article, cette réalité abjecte. Il voit en Zilia, une fleur égarée sur des déchets. Elle lui semble singulière, discrète et l’on ressent l’apothéose de l’enchantement d’une normalité.
Un souffle de ressemblance avec les sociologies, où le machisme n’a aucune place. Elle est regardée, écoutée et respectée. C’est une bouffée d’oxygène sur le toit de ces poubelles immondes. L’Albanie, manichéenne, entre le bien et le mal. Une terre labourée par les pas des hommes vils et encerclés de tabous. Les sentiments sincères, la confiance comme guide, Zilia et Rasim vont sublimer la résistance. Mais Rasim est trop présent sur la décharge, cette zone de non-droit. Son enquête dérange les mafieux. Que va-t-il se passer ? Zilia trouvera-t-elle la fleur de l’exil ?
Ce livre puissant, grandiose, est une percée de lumière dans la nuit albanaise. Il pointe du doigt les errances d’un peuple ployé sous les diktats des lois souterraines. Le nord de l’Albanie dans son évidence la plus triste.
Ce livre est un devoir de lecture. La mission d’une littérature engagée, virtuose de sincérité. « Toutes les routes n’existent que dans l’épuisement du voyage . »
Une fresque magistrale, finement politique. Publié par les majeures Éditions Elyzad.
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