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" Il faut parfois forcer l'improvisation. Il reste encore quelque chose à imaginer " - La vie humaine sécrète des pensées sans le vouloir, elles naissent inconsciemment, s'épanouissent sauvagement et s'évanouissent souvent aussi vite qu'elles sont nées. Les plus belles sont les pensées sauvages, éphémères, qui se fanent à peine écloses. Les plus profondes se gravent quelques temps dans la mémoire, parfois nous les retravaillons pour qu'elles deviennent plus pesantes, plus pensantes, plus graves : elles tombent hors de nous, nous les écrivons. Les déposer sur un support pour ne pas qu'elles s'évanouissent, les recueillir avec précaution pour les sauvegarder et pouvoir les regarder à nouveau, comme dans un herbier, c'est ce que les anciens Grecs appelaient hypomnemata. Sous-mémoire, support de mémoire : l'écriture n'est rien d'autre à l'origine que cet aide-mémoire qui rend visible l'invisible du langage interne.
Laurie Courtois retrouve naturellement cette pratique antique et lui redonne un sens neuf, un sang nouveau. Avec elle les hypomnemata deviennent une opération qui ouvre le corps, le découvre, tout en s'ouvrant au monde, à la nature, qui s'imprime alors en nous. Mais plus qu'un je, c'est un tu qui s'exprime ainsi et se dévoile à nous. Cette part d'altérité, d'altération, qui s'interpose entre moi et autrui, est-ce fiction, alter ego, altéro-graphie plus qu'auto-graphie ? Qui parle ici ? Quelle part de la personne s'expose ainsi, douloureusement, radieusement, presque mystiquement parfois ? Cette part n'est pas maudite, elle cherche la joie à travers la brume d'un corps qui cherche l'autre corps, le corps d'autrui dans la difficulté de l'existence humaine sociale, mais plus encore le corps du monde, le corps du cosmos qui s'offre à nous à travers les paysages poétiques traversés par celui qui en s'écrivant marche sans cesse vers lui-même en errant sur les chemins, les sentiers, les pistes du dehors. En effet ici quelqu'un marche sans cesse, erre sans jamais pour ainsi dire cesser de ressentir, d'éprouver, de penser. On dirait Bashô en marche dans le vent, la brume, la neige, notant ses haïkus au fil des instants de l'errance - Bashô qui surgit d'ailleurs au détour d'un fragment saisissant. Mais ce n'est pas un moine Zen ou une nonne bouddhiste qui s'exprime ici, ce serait plutôt un disciple taoïste de Zhuangzi qui se souviendrait des Maximes de La Rochefoucauld. La beauté des notations éphémères sur la nature se double de l'acuité d'un moraliste qui réfléchit sur la vacuité du monde.
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