"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
Un peintre recueille un enfant trouvé qui devient son assistant. Lors d'un voyage, le garçon reçoit comme une déflagration sa première vision de la mer, et découvre la sensualité. Ces rencontres lui révèlent ce qui l'habite depuis toujours : le manque. Après la mort du maître, une chute le défigure et en fait à jamais « Gueule demi », exclu de la société des hommes. L'Envolée, jeune fille de conte de fées, reconnaîtra le don qui anime ses portraits : capter l'étincelle d'humanité qui frémit en chacun, sans l'enfermer.
Ce roman habité et sensitif s'interroge : que faire de notre besoin de consolation ? La moitié arrachée du visage du héros illustre cette béance ; mais loin de la lamentation, le roman est une ode aux pouvoirs de la création, une pure pépite d'émotion à vif.
Bleu ! Voûte lactée ! Un des plus beaux livres en ce printemps, couleurs et regain.
Ce livre est une ode à la pureté, l’onirisme bleu océan.
L’écriture de Benoît Reiss si douce à l’instar d’une voix chuchotante.
Un conte, une fable, rien n’est étrange dans ces lignes superbes et c’est bien ainsi. La vie y est souveraine, au ralenti, un goutte à goutte de lumière. Dans une dimension ésotérique, magnétique, sensuelle et habitée par la grâce.
Bleu comme la couverture sur l’enfant et bleu de la mer. « Ce bleu sur la pente, qui se révèle un lit d’enfant, est comme celui de la mer ».
Enfant coquille, trouvé par le Maître sur un tas de bois abandonné en pleine solitude loin de toute terre habitée.
« L’enfant referme les yeux, sa minuscule main repliée près de sa tempe. Il se rendort ».
Enfant d’Octobre, des vendanges salvatrices. Le maître solitaire n’est plus, « tout cela est nouveau pour l’enfant et pourtant déjà pleinement accueilli ».
Bleu, dans cet antre renouvelé , le Maître peint. Différemment, avec des nuances de vie sur le pinceau. Lui, qui regarde cet enfant comme le Messie. Sentir le vivant jusqu’au bord des cils de ce petit être. Prénommé Bleu comme les toiles mappemonde. Le Maître peint encore et encore. L’enfant grandissant observe les toiles, les mouvements comme des étoiles accrochées sur le toit du monde. La connivence entre le maître et Bleu est pudique, secrète, comme ces choses qui vont de soi mais en silence. L’apprentissage pour Bleu, peindre et apprendre de son Maître l’invisible des frémissements. « Peindre lui est venu avec sa découverte de la mer… Il ne perdait rien de ce qui se formait alors, les reliefs, tracés à la lame, des grèges, des bruns, des innombrables verts et bleus, les consécrations de rouges , d’ocres, de jaunes, toutes les nuances, les gris, les marrons, les violets s’étirant, après chaque passage de la main, vers le clair ».
« Ici, on va s’installer ici ! Tout le jour, le maître est assis sur le pliant, au travail sur la toile, lui debout dans son dos, occuper à examiner les mélanges des couleurs...s’étonnant de n’éprouver aucun ennui, de désirer, même, que cela dure encore ».
On ressent le solaire des gestuelles qui se comprennent. Un lien entre le Maître et Bleu comme une rencontre qui n’en finit pas d’éclore. La beauté de la simplicité.
On pressent le Sud de la France. Un lieu imaginaire mais qui, pourtant, nous est connu : « août aurait été brûlant sur le plateau, un feu blanc du matin jusqu’à la nuit ».Le Maître à l’instar d’un berger dont l’aura transperce Bleu. Mais, le Maître meurt. Bleu se retrouve seul. Il ferme la maison part rejoindre le vrai Sud. Dans ce périple, il chute malencontreusement. La joue arrachée par un rocher tranchant. Il sombre dans un gouffre, le manque du Maître, la distance avec la vraie vie. Redevenir le bleu de son enfance. Il sera sauvé mais mutilé. La moitié du visage basculé dans le noir et l’horreur. Mais son visage de monstre devenu est repoussant et il est surnommé Gueule Demi. Les couleurs n’oublient pas. L’intrinsèque du récit non plus. Il y a dans ce livre majestueux, initiatique , L’Envolée. Celle qui reste clouée dans son lit et qui, pourtant sait. Maîtresse des couleurs et de la vie. Elle est de transmutation, une voyance qui perce bien plus loin que le regard d’un aigle. Lequel va sauver l’autre ? L’Envolée ou Bleu ?
Ce texte de cristal est métaphorique et sublime. Ici, près du bleu, rayonne un récit boréal. Vertigineux, théologal, dans une poésie des transhumances. « Gueule Demi » est un livre filmique mais au ralenti. Il honore la création, la transmission, le bleu céleste et l’approche du secret. Lire doucement, mot à mot le charme vivifiant d’un Gueule Demi qu’on aime de toutes nos forces. Publié par les majeures Éditions Fugue.
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