Inspirée d’une histoire vraie, cette BD apporte des conseils et des solutions pour sortir de l'isolement
Dans le port du Havre, au fond de la salle de classe, sous le regard de Simone Lagrange, petite fille déportée à treize ans, Grichka reste à quai...
Au fil de ce récit polyphonique, l'Histoire et les histoires, les secrets de famille, les destins brisés vont se révéler dans une géographie poétique.
La rencontre de son professeur de français et la découverte du théâtre vont être déterminantes.
Accompagné par le Choeur antique, Grichka Vyssotski va prendre le large et entraîner dans son sillage les autres protagonistes de ce récit :
Sa mère, Anna, caissière dans un magasin, qui, pour échapper aux silences, cherche du réconfort dans les bras de son amant.
Son père, Mikhaïl, ancien docker au port de l'Europe réduit au chômage à la suite d'un accident.
Babou, sa grand-mère, point d'ancrage, dont les travaux d'aiguilles masquent un douloureux secret.
Son professeur de français, madame Kerouani, qui, fragilisée par la mort imminente de son père et une rupture amoureuse, éprouve pour cet adolescent aux yeux trop clairs, cet étrange étranger, un trouble nouveau... Il est ce fol amour qui trouble sa raison.
Lazare Monticelli, quatre-vingt-trois ans, fils d'immigré italien, qui arpente son bord de mer en rêvant comme un enfant.
Et enfin un petit dé rouge au bout d'une chaîne en argent qui nous accompagne dans ce récit d'apprentissage(s).
C’est un livre de silences, de nombreux silences.
Parce que, parfois, il n’y a pas de commentaires à faire, pas d’explications à donner. C’est monstrueux, c’est fait. On aimerait mieux penser à autre chose, à de belles choses, mentir aux enfants, leur dire que ça ne s’est pas passé, que personne n’aurait été capable de faire ça, personne. Mais non, ça a eu lieu et il faut en parler.
Simone Lagrange, déportée enfant à Auschwitz-Birkenau en septembre 1945, témoigne face à des lycéens. Silence. Les élèves sortent, muets, stupéfaits.
Grichka Vyssotski, lui, ne sort pas. Un rideau de cheveux cache son visage.
Et, puis, il y a d’autres silences…
Muet à l’école, l’adolescent le sera tout autant à la maison. Etranger à sa mère, étranger à son père. « Grichka-sans-voix, réveille-toi » a-t-on envie de lui crier aux oreilles. « Fantôme d’enfant sans histoire, sans route tracée sous ses souliers. »
La mère, elle, n’est pas silencieuse mais sa logorrhée affolée masque sa peur, sa gêne.
Le père ne dit rien.
Babou, la grand-mère « coud, brode, tricote », elle rit aussi mais se tait sur son secret, bien caché, bien gardé.
Enfin, Madame Kerouani, la narratrice, professeur dont le métier est de parler, d’expliquer, ne peut pas entrer en scène toute seule, sur l’estrade, devant les élèves. Parfois, elle bloque. Elle ne peut pas dire ce qui la ronge vraiment. Alors, elle cite les vers des autres, elle s’accroche désespérément à une parole qui n’est pas la sienne, une parole porteuse de sa douleur de femme qui vieillit, de femme seule et orpheline bientôt.
Et ces silences, tous ces silences, se mêlent, s’emmêlent : échos de peines, la voix se perd, la bouche se tord, le son se meurt…
Alors, qui parle dans ce livre, d’où viennent les mots qui surgissent ?
Du chœur. Du chœur ? Ah, bon, c’est une tragédie ? Oui, un peu.
Il explique, le chœur, il donne des conseils. C’est son rôle.
« Prends garde aux enfants fous ».
Il dit qu’il faut arrêter de se battre, il dit qu’il faut « déposer les armes ». C’est la sagesse du cœur. Il invite à sortir du miroir, aller plus loin, vers l’autre.
Et puis, il a ce qui va sauver le monde. Quoi donc ? La littérature, voyons, l’aviez-vous oubliée ? Le théâtre. Lieu de paroles. Grichka Vyssotski veut lire. Et faire du théâtre, avec Madeleine. Alors, soudain, « Grichka parle sans s’arrêter », il est torrent, il est déluge. Il est un homme qui « sort de l’ombre à présent ».
Et les autres suivront…
Plusieurs voix qui taisent leurs souffrances, leurs blessures enfouies, leurs secrets étouffés. Et puis, tout à coup, c’est une poésie du jaillissement, une renaissance, une course vers la lumière, pour respirer enfin, vivre, remonter à la surface par la force des mots, par la puissance du verbe, de la littérature.
L’enseignante meurtrie, qui n’y croit plus, prononcera les formules magiques, celles qui font encore lever la tête de quelques-uns et le miracle aura lieu…
- Il faut qu’on parle, dira le père…
En cette veille de rentrée, je ne peux m’empêcher de dédier cette chronique sur ce texte magnifique de Laure des Accords à toutes celles et ceux qui dans quelques jours vont se retrouver devant des enfants dont il faudra délivrer la parole afin que naisse en eux le plaisir du texte littéraire, qu’ils en goûtent les mots, les phrases, les sons, les sens, qu’ils s’en nourrissent et qu’ils en vivent. Et qu’ils en soient heureux…
« De mon corps à leurs voix je sens dessous mes bras grandir comme à l’aisselle d’une feuille de tendres rameaux, jeunes, vigoureux, volubiles, et tout au bout, translucides et coriaces, des bractées aux couleurs argentées, des fleurs avortées, des mots qui me transportent.
Je veux encore une fois, une dernière fois, leur donner de la parole. »
Retrouvez Marie-Laure sur son blog: http://lireaulit.blogspot.fr/
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