"On n'est pas dans le futurisme, mais dans un drame bourgeois ou un thriller atmosphérique"
« Il ne se regarde pas dans la glace. Il sourit rarement, ne rit pas, ne pleure pas. Il n'affirme jamais : ceci est à moi, mais seulement parfois demande : est-ce que c'est pour moi ? Il dit rarement je et ignore le tu. Il ne prononce pas mon prénom.
Pourtant, la surprise, lorsque je me vois par hasard dans un miroir, de découvrir ses yeux dans mes yeux m'oblige à présumer une parenté de nos vies secrètes, à conjecturer chez lui une histoire qui aura continué ailleurs et dont je cherche à déchiffrer les trop rares messages, en enquêteuse incompétente, impatiente et inconsolée. » E. F.
l'auteure nous raconte le vécu avec son frère " anormal " puisqu'à cette époque , année 1937, aucun mot ne nommait la différence entre les êtres " normaux " et " anormaux " - Ils étaient simplement différents des autres et les surnoms " dingo " - " anormal " " idiot " .........
Ce récit aurait pu être très prenant voire touchant si l'auteure s'en était tenu à raconter son quotidien avec ce frère différent plutôt que de citer des philosophes, des textes, des phrases tenus par des personnes ne connaissant rien à cette maladie que l'on appelle de nos jours " autisme "ou " asperger ".
Elle aurait pu ainsi mettre en valeur le vécu de son frère qui , certainement, cachait beaucoup de choses que les personnes autour de lui auraient découvert si elles s'étaient un peu plus interêssé à lui.
Sans nommer concrètement la maladie mais en faisant comprendre qu’elle est grave, difficile et durable, Elisabeth de Fontenay nous plonge, dès les 1ères lignes, dans son histoire et, surtout, dans celle de ce frère qui est si différent.
Dès le début, elle nous fait comprendre que son témoignage sera fort et que cette relation fraternelle est difficile pour elle, pour sa famille. Qu’il est difficile de comprendre, de communiquer avec un proche, un enfant, un frère qui est différent, qui ne communique pas selon les codes usuels, qui ne s’intègre pas comme il l’est prévu dans la société !
Elisabeth de Fontenay mène une quête. Elle est en quête d’apprendre, de comprendre, d’accepter, et s’appuie, pour ce faire, sur toutes ses connaissances et références, dans tous les champs qu’elle peut connaître, tantôt littéraires, musicaux, mais aussi philosophiques, psychologiques, voire même religieux, comme pour légitimer sa pensée, sa réflexion et sa parole, comme pour objectiver les faits qui peuvent ne pas paraître rationnels, comme pour combler le « désespérant silence » de son frère, déchiffrer ce qu’il pourrait chercher à dire.
Son témoignage pourrait être fort, est fort sans aucun doute, mais le contenu est très présent et quelque peu (trop) élitiste. Ce parti pris semble légitimer, à ses yeux, le récit de l’auteur mais m’a semblé l’éloigner du lecteur non initié. Le message, fort, l’aurait été probablement davantage si le public cible pouvait être élargi au lieu de s’adresser à un cercle plus restreint ayant des notions psychologiques, voire philosophiques. Car si le lecteur passe outre ces références, le message est profond, sincère et un véritable témoignage sur l’acceptation de l’autre et de SA différence, l’acceptation de la maladie « Psy ». Au-delà, il peut également être un témoignage de la difficulté de répondre au besoin de ces personnes (et de leur famille) sans les médiquer à outrance et les « parquer » dans des instituts ne pouvant pas forcément répondre à leurs réels besoins. Il peut interroger sur notre capacité en tant que société, mais aussi en tant que soignants, à apporter une réponse adaptée à leurs besoins et non aux besoins décidés par la société. Mais ceci est sans compter sur le contenu qui me semble probablement quelque peu excluant pour une majorité et qui risque d’en faire abandonner plus d’un…
Je connaissais Elisabeth de Fontenay pour son œuvre de philosophe sur la question juive et la cause animale ; je me suis demandé comment elle allait aborder ce sujet si intime, et si l'émotion l'emporterait sur la raison. La réponse, je vous invite à la découvrir par vous-même.
Parce qu'octogénaires et que le temps passe, il faut, comme une nécessité, lorsqu'il n'y aura plus de témoin, que la « mémoire se forge de papier » comme le suggérait Montaigne.
Quoi de plus vrai dans cette réflexion-hommage écrite par Elisabeth de Fontenay, pour son frère, dont le prénom restera de nous inconnu, mais qui cheminera dans notre mémoire de lecteurs comme étant Gaspard.
« Le moment est venu, je ne sais pas trop pourquoi, car il est vivant, d'écrire sur lui, de démêler ce que, d'ouï-dire en secrets toujours à demi dévoilés et du fait simplement de notre enfance partagée, j'ai pu saisir de son désespérant silence, de sa persévération dans une irrésistible absence à soi-même. »
Une famille qui a vu se désintégrer les siens pendant la shoah, se retrouve avec deux enfants, l'aînée Elisabeth et le cadet « Gaspard » absent à lui-même. Frère toujours présent pour sa sœur. A l'heure où elle lui donne des mots, ils ne sont plus qu'eux deux et après eux...
Une chappe de plomb s'est refermée sur cette famille concernant l'extermination des siens mais aussi sur le fait d'avoir un enfant différent.
Différent par rapport à qui, à quoi, le monde n'est-il pas assez vaste pour contenir toutes les distinctions de la création.
En effet l'auteur ne sait pas le nom de ce qui distingue son frère des autres, même en cherchant dans les papiers de la famille elle n'a rien trouvé, elle avance sur un lac gelé dont la glace est fragile et peut les faire disparaître.
« Je cherche seulement à le faire exister tel qu'il s'est dérobé aux siens et n'y parviens qu'en usant de la première personne du singulier dans laquelle la sœur, la narratrice et la philosophe cohabitent de manière intranquille. »
Elisabeth de Fontenay ne soigne rien en écrivant sur son frère, elle n'en a pas besoin, il a toujours fait partie de sa vie.
Elle analyse comment, emmuré dans son silence, il a influé sur ses choix et son travail de philosophe.
Elle désire juste qu'on lui reconnaisse une conscience, une sensibilité humaine, occultée par un comportement fait de répétitions, de rituels qui l'enferment, alors elle estime qu'il est inutile qu'au nom d'une « normalité » il lui soit rajouté des chaines.
Stigmatisé, drogué peut-on espérer un jour, qu'un travail thérapeutique soit possible, plus en profondeur et en humanité ?
« L'institution où Gaspard vieilli comprend depuis plusieurs années une maison de retraite—ce qui atteste de la part de ses profondeurs une prévoyance exceptionnelle—mais elle s'appelle toujours Les Jeunes Handicapés. Enfants fous, enfants arriérés... Sans doute par insuffisance de prise en charge, mais surtout parce que la vieillesse des insensés porte à son comble la terreur du non-sens, nous préférons les dire toujours jeunes. Ainsi nommée, la réalité se déréalise et fait moins peur, car la maladie et l'invalidité psychiques vont d'aggravant avec l'âge. »
Elisabeth de Fontenay a su nous bouleverser avec des mots aussi précieux que puissants, alliant intellect et sensibilité et je ne peux que partager son constat et espérer que cela change, nous avons tous un rôle à jouer.
« Dans cette solitude particulière, j'aurai fait l'expérience de l'allergie à l'être différent que tant de gens dénués de méchanceté mais nantis d'un terrifiant sens commun s'empressent de percevoir comme une déplaisante étrangeté et qu'ils veulent effacer de leur champ de vision. Ils se scandalisent d'abord de ce que de tels êtres aient pu venir au monde et surtout de ce qu'on ne les cache pas. »
Et si nous éduquions tous nos enfants « normaux » pour que la différence soit une richesse et non une répulsion ?
Différent ne signifie pas a-humain ...
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 16 novembre 2018.
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