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Le rêve de l'Europe supra-étatique va-t-il se briser sur la question nationale ? En Catalogne, en Écosse, en Corse et au Pays basque, des peuples affirment leur droit à vivre un destin que la mondialisation capitaliste ne peut pas sa- tisfaire. Plus à l'Est, en Ukraine, dans l'ex-Yougoslavie et en de nombreux autres endroits, la même question ébranle des dominations.
Si le néolibéralisme unificateur bute sur ce renouveau de la question des droits des nations à disposer d'elles-mêmes, la gauche, radicale ou non, semble en peine pour offrir ses solutions, bloquée dans un « jacobinisme » conservateur.
Circonstances qui ajoutent à la complexité de la question, toutes ces expressions nationalitaires ne sont pas portées par une vision émancipatrice, on pense aux Flamands et aux « Padaniens » du nord de l'Italie.
Pourtant, dès son essor, le mouvement ouvrier s'est em- paré de cette question notamment à la suite du Printemps des peuples de 1848. Parmi les principaux acteurs de la scène politique de l'époque, Friedrich Engels, en complicité avec Karl Marx, s'attache plus particulièrement à analyser la question nationale et produit le déconcertant concept « peuples sans histoires » qu'il définit comme « des peuples qui dans le passé n'ont pas été capables de constituer des États et n'ont plus suffisamment de force pour conquérir leur indépendance nationale dans l'avenir » opposés aux na- tions historiques.
C'est de cette conception que nous propose de discuter Roman Rosdolsky dans cet ouvrage.
Dans son avant-propos, Benjamin Bürbaumer revient d'abord sur l'étonnant parcours de l'auteur. Ukrainien, tour à tour militant du Parti communiste ukrainien, intellectuel marxiste proche de Léon Trotsky, exilé politique, arrêté par les nazis et déporté à Auschwitz puis à Ravensbrück. Libéré, il rejoint les États Unis où il met au jour les Grundrisse de Marx alors inconnus. Il poursuit alors son travail théorique notamment sur la question de la valeur et rédige son oeuvre majeure sur la genèse du Capital, dont seule une partie a été publiée en français.
Mais il produit aussi en 1948 une première ébauche de ce livre, car il reste passionné par cette question nationale qu'il a expérimenté dans le vif en Ukraine après la révolu- tion d'Octobre.
Au lieu d'appréhender les racines sociales du mou- vement panslaviste, Engels dresse une carte de l'Europe basée sur deux catégories : les « nations révolutionnaires » et les « peuples sans histoire », les premiers étant considé- rés comme historiquement viables, tandis que les seconds, méprisés, étaient relégués au statut de fragments sans vie du passé, de « ruines ». C'est cette thèse que réfute Roman Rosdolsky qui nous propose une étude qui a pour objet l'image que renvoient, des mouvements de libération des peuples d'Autriche dits sans histoire pendant la Révolution de 1848-1849.
Outre le texte lui-même de Friedrich Engels et le pro- blème des peuples sans histoire, l'ouvrage offre utilement deux contributions complémentaires. La première de Gérard Billy, « Appréhender les questions nationales multiformes ».
Traducteur de l'ouvrage de l'allemand, il introduit le texte de Roman Rosdolsky et revient en détail sur les débats qui ont agité la social-démocratie au début du 20 e siècle sur la question nationale et la contribution d'Engels.
Enfin, cette approche est richement complétée par la contribution de Georges Haupt et Claudie Weill, « Marx et Engels devant le problème des nations », qui contextualise les recherches des deux intellectuels allemands et l'évolu- tion de leur pensée notamment sur la question irlandaise et polonaise.
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