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Ève, première femme, première née, soeur aînée, soeur aimée... Il y a dans cette série photographique de Colette Pourroy quelque chose de l'ordre de la déclaration d'amour sororal, exprimée avec la volonté de revisiter un territoire de l'intime et l'urgence de conjurer la fuite des souvenirs fussent-ils dévastateurs. Ces images semblent hantées par le train de la mémoire qui inexorablement poursuit sa course de l'enfance à l'âge adulte. Latentes mais résistantes, elles nous racontent une histoire jusqu'alors restée au seuil de la parole et qui trouve dans la transposition photographique un palliatif à la douleur de l'énonciation. Le flou vaporeux, le contraste entre le blanc laiteux et le noir profond qui les caractérisent confèrent à la séquence qu'elles composent un aspect hallucinatoire.
À la netteté photographique, la photographe préfère en effet une représentation délibérément troublée par une vitesse d'exposition sous-estimée, une focale imprécise et une lumière radicalement violente et écrasante comme pour donner à voir le non-dit.
Pourtant, ce n'est pas de ces rapports à l'indicible que vient le malaise se dégageant de la lecture des images mais bien plutôt de l'ambiguïté qui s'y loge. Ainsi, nombreux sont les signes de la duplicité : la main est celle qui se tend et celle qui contraint, la fenêtre peut être ouverte pour respirer l'air frais dans une pièce devenue étouffante mais aussi devenir l'instrument d'un suicide, le drap être celui sous lequel on se cache avec l'innocence des jeux de l'enfance ou avec la sensualité des premiers émois amoureux mais aussi celui qui recouvre un corps à la morgue.
Dans cette narration visuelle se tissent une infinité d'histoires scandées par un certain nombre de leitmotive : l'ouverture, l'emprisonnement, le double, la dissimulation, la ligne de partage d'où émerge un « visage lunaire », une féminité fragile. La traversée symbolique des trois âges de la vie que condense ici la littérarité des images semble donner une place prépondérante à l'adolescence, à ce moment incertain de l'existence où tout peut basculer. La présence de la photographe, de la soeur, du double retrouvé après la solitude et le huis clos n'est pourtant pas salvatrice. Il n'y a pas de reconstruction grâce au regard de l'autre, fût-il photographique et empathique : une vitre, un voile persistent entre les âmes et les séparent. L'issue fatale que l'on pressentait demeure le point d'orgue de la composition. La morte-vivante dont on suivait les pas hagards s'est bel et bien brûlé les ailes dans l'obscurité et il faut en accepter la perte.
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