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Comment décrire et comprendre une guerre civile, quand il n'en existe pas d'archives accessibles, que les principaux acteurs du conflit sont toujours des personnages politiques de premier plan. Comment interroger les témoins et les acteurs ? Que sont-ils prêts à raconter et à quelles règles obéissent leurs récits ? Comment utiliser ces récits, que révèlent-ils tant sur le passé que sur le présent ? Autant de questions qui organisent le travail de Gilles Bataillon sur la guerre civile que connut la Moskitia nicaraguayenne de 1981 à 1989. Présent dans les maquis miskitus en 1984, il a commencé par s'interroger sur les limites de ce que pouvaient percevoir les acteurs comme les observateurs lorsqu'ils étaient immergés dans l'événement. Les conditions de guerre favorisent un certain type de discours qui fait peu de place à l'introspection comme à la réflexion individuelle. La parole n'est pas simplement censurée pour des raisons de prudence évidente, mais où, plus fondamentalement, le je et la libre réflexion du locuteur sont déniés de par l'incorporation des combattants dans un corps, la guérilla. L'observateur lui-même peine à échapper à cette emprise. Recommençant à interroger une trentaine de combattants et leurs proches, il a recueilli longuement leurs dires et ceux de soixante-dix autres de 1997 à 2007. Ce travail de construction de récits de vie avec les acteurs d'un conflit armé ne lui a pas seulement permis de restituer la part de l'aléatoire et de l'accidentel, comme le poids du contexte dans les processus qui amènent des individus à s'engager dans une guerre civile. Il l'a aussi conduit à s'interroger sur la façon dont le contexte social pèse sur la réflexion des acteurs et sur les modalités du récit du passé qu'ils sont prêts à construire, comme sur leurs appréciations du présent. Il a ainsi repéré comment tout le travail de remémoration de la guerre ou d'autres événements auquel il a invité ses interlocuteurs s'est appuyé sur la tradition introspective du piétisme morave, religion à laquelle se sont convertis les Miskitus depuis le début du XXe siècle. Il montre aussi comment dans leurs manières même de raconter, comme dans leurs soucis d'une histoire plurielle, les Miskitus reprennent à leur compte certaines traditions pluralistes du protestantisme. Enquête sur une guerilla, Nicaragua-Moskitia (1982-2007), son livre à paraître aux éditions Le Félin, offre ainsi une réflexion non seulement sur l'histoire des Miskitus au XXe siècle, mais sur le travail d'enquête sur une guerre civile et sur la manière dont la mise en récit du passé peut s'effectuer.
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