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Eliete, 42 ans, mariée, deux enfants, « moyenne en tout », étouffe dans son rôle de femme et de mère dévouée et délaissée. Animée de mille questions et d'un manque d'auto-estime, elle voit sa vie basculer peu à peu quand sa grand-mère bien-aimée se met à perdre la tête. Comment vivre sa vie de femme quand on se rend bien compte que ceux qui nous sont apparemment les plus proches nous deviennent étrangers, tandis que des inconnus se bousculent aux portes de nos réseaux sociaux pour de furtifs moments charnels? Comment vivre sa vie de femme quand la vie normale nous étouffe, nous écrase et nous mine ? Quand la maladie d'un proche attise notre souci du temps et de la mémoire, et remet insidieusement tout en question ? Dans Eliete, ou la vie normale, Dulce Maria Cardoso brosse le portrait d'une femme tiraillée entre les fantômes du passé, les affres du présent et les incertitudes d'un futur apparemment tracé mais peut-être bien à (re)construire. Le portrait d'une génération née après la Révolution du 25 avril, ayant grandi dans l'abondance des fonds communautaires puis vécu de plein fouet la grande crise qu'a traversé le Portugal après 2008. Une génération désireuse d'oublier le passé et s'inscrivant dans une course effrénée vers la société actuelle - une société qui délaisse ses aïeux et fait fi du temps et de l'espace réels pour mener une vie parallèle via les réseaux sociaux et autres virtualités dévorantes. Dans ce roman mené tambour battant, au rythme des mille et unes pensées et questions habitant la protagoniste, l'auteure manie avec habileté le langage et le récit pour suivre au plus près la réalité brute d'une femme guettée par la vie.
Un futur grand classique ! Eliete est notre semblable. Et comme on l’aime cette femme de 42 ans bousculant sa vie, claquant la porte des habitudes trop ancrées, sans bruit aucun, avec altérité et dignité. Elle est superbe de sens, de réflexions ajustées, d’intelligence intuitive. Eliete regarde attentive les décors de son monde. Un château de cartes qui va s’écrouler immanquablement. « Quand l’hôpital a téléphoné à cause de ma grand-mère c’était plus de cinq mois avant la nuit de la tempête, mais j’ai l’impression que Salazar a commencé à s’insinuer dans ma vie à ce moment-là. Sa grand-mère de quatre-vingt-un ans chute en pleine rue. Eliete va accueillir dans son foyer cette dernière. « Ce n’était un secret pour personne que maman n’aimait pas mamie expliquait - elle quand elle était de bonne humeur, les autres jours elle se contentait de râler, Saleté de vieille elle peut crever loin d’ici je m’en contrefous. » Vous l’aurez compris, le bas blesse entre ces deux fortes personnalités. Il faut dire que nous sommes en latitude post révolution du 25 avril 1974. Eliette a vécu chez sa grand-mère avec sa maman et Monsieur Pereira. Sans son père décédé lorsqu’elle avait cinq ans. Le spartiate, l’aigreur intergénérationnelle ont heurté cette promiscuité de plein fouet. L’écriture de Dulce Maria Cardoso est un jour après l’autre. Posée, elle assigne la voix d’Eliete qui prend vigueur, gonflant les pages d’une narration de génie. Eliete se métamorphose. D’autant plus que la venue de sa grand-mère chez elle va être comme un tsunami, une mise en abîme pour Eliete. « Ne pas passer pour une faible pourrait être le slogan de maman. « Qu’est-ce que je cherchais avec autant d’insistance dans cette photo ? Mon papa, ma maman, moi, la certitude que mon papa aimait sa petite fille ? » Eliete observe le lissé d’un antre conventionnel. Un mari Jorge qui flirte à outrance sur les réseaux sociaux, pourvoit Eliete à la transparence. Elle, qui côté ville travaille pour une agence immobilière et du côté cour pour les tâches ménagères et tutti quanti. Eliete est invisible. D’aucuns lui parlent, d’aucuns la pensent femme révélée. Rédemption, Eliete creuse la terre, foudroie les silences, laisse monter la sève. Elle s’épuise à force de chercher le bon rythme. L’alliage qui effacera inéluctablement les rides naissantes. « Ce que j’éprouvais envers Înes était identique à ce que j’éprouvais pour Marcia et vice-versa, il n’y avait rien de fondamentalement différent dans ma relation avec chacune, même si avec Marcia j’arrivais plus facilement à m’imaginer que j’étais une bonne mère. » Eliete s’élève, elle affronte les images, les non-dits, les relents latents d’une dictature. Elle rassemble l’épars qui va faire des miracles. Ce qui est sublime, c’est la justesse de ce récit qui écarquille l’authenticité, cette ténacité à s’affirmer en tant qu’être accompli. Coûte que coûte, la vie normale vacille. « Ce sont les restes de la dictature, ça a duré presque cinquante ans, ça a laissé des traces, les gens ont encore peur, notre dictature a été différente des autres, elle s’est marquée de douceur et c’est ça qui nous a minés en nous rendant tous méfiants…. » Eliete est une belle personne, une battante. Sa grand-mère est un paravent contre les affres d’un quotidien fade. Eliete va-t-elle se réaliser ? Le dire ou pas ? Lisez ce récit, la tempête est signe, Eliette l’exemplarité. Une enfant du Portugal portant sur ses épaules le poids de l’Histoire, ce que l’amour a figé de secrets lourds. Magistral, fondamental. Publié par les majeures Editions Chandeigne.
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