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Je n'entends pas étudier dans un livre, dont les ambitions ne peuvent être que limitées, toute la vie et toute l'oeuvre de Donoso Cortés. Ce philosophe, un des plus grands dont l'Espagne puisse s'honorer, a été trop profondément mêlé à la vie politique de son temps pour que l'on puisse négliger le retentissement qu'ont eu sur sa pensée les luttes, les conflits et aussi, hélas! les intrigues qui déchiraient sa patrie. Il faut laisser à ses compatriotes le soin de discerner la part de l'évolution personnelle et celle des événements extérieurs sur un homme dont la capacité de réflexion fut égale à la sensibilité.
[...] Il savait également discerner les causes et, fil par fil, recomposer la trame des événements dont il avait scruté le sens et anticipé le déroulement. Un heureux équilibre, qui d'ailleurs masquait un eifort continu sur lui-même, assurait à ce sentimental une secondarité qui lui permettait de comprendre les faits et de les éclairer avant d'agir. S'il discerna les failles qui séparent en nous l'action de la pensée, il ne s'en attacha pas moins à les combler. De plus, ilpossédait cette éducation parfaite où s'ajoutent à tous les dons d'une culture raffinée la délicatesse des sentiments et cette capacité de discernement qui n'appartient qu'au coeur. Il souffrit, au plus profond de son âme, des discordes et des révolutions auxquelles il était bien malgré lui mêlé : bien malgré lui, car cet aristocrate, que tout destinait à jouer un rôle de premier plan, souhaitait par-dessus tout de pouvoir se tenir en dehors et au-dessus de la mêlée; il aurait pu, étant plus loyal et plus clairvoyant que tant d'autres, diriger - il avait certes l'étoffe d'un chef d'État, - il se borna à conseiller. Il eut le sens du moment où des réformes peuvent être efficaces, et percevait la mesure exacte de ce qu'on peut consentir sans mettre en péril les principes sur lesquels repose la stabilité de l'État. Mais ses conseils furent mal suivis : son esprit conservateur le rendait suspect aux progressistes; son souci du bien-être général et de la prospérité des classes déshéritées plaisait peu aux conservateurs. L'ordre social qu'il préconisait était, il aimait à le répéter, fort différent de celui qui régnait à Varsovie. Sa formule : « tout pour le peuple, rien par le peuple » est celle justement qui ne plaît à personne. Elle n'agrée point aux conservateurs qui n'entendent renoncer à rien de ce qu'ils possèdent ou de ce qu'ils acquièrent; elle scandalise les démagogues qui entendent surtout éveiller les ressentiments et spéculent sur la misère pour se hisser au pouvoir. [...] Caractérologue avant la lettre, il aperçut même les infiltrations dangereuses du fatalisme musulman dans le catholicisme espagnol: développant, dans son important Discours sur les relations avec l'étranger, cette idée qu'une civilisation ne peut agir vraiment sur une autre qu'en tant qu'elle est en contact avec elle et qu'elle en a elle-même subi l'influence, il voit dans l´Espagne la tête de pont de l'Europe vers l´Afrique. Ainsi la France pour lui ne peut réaliser sa mission en Afrique que si elle se résout à une entente avec les pays de la péninsule ibérique. Entre la culture française et la vieille civilisation africaine, il y a, selon lui, une solution de continuité géographique, physique, morale ; [...] On est frappé, en lisant D. Cortés, de constater sa force logique.
Les oppositions, les contradictions chez lui ne s'équilibrent pas ; elles ne sont pas résolues par une dialectique artificielle comme celle de Hegel. Elles suscitent justement les âpres luttes, les conflits incessants dont la trame de l'histoire est faite. Elles ne peuvent être surmontées que sur un plan supérieur. Très vite d'ailleurs, il lui apparut que l'homme livré à ses seules forces ne peut triompher des antinomies qui s'exacerbent au point de le ramener sans cesse à ses origines et, par les excès de la réflexion, à la barbarie spontanée, seule capable de régénérer les civilisations croulantes et perverties. Et c'est ainsi, nous le verrons, qu'il passa insensiblement d'une philosophie de
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