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Les Pensées furent-elles vraiment écrites sous forme de fragmentsoe Se réduisent-elles à un recueil d'aphorismesoe La question peut sembler d'autant plus saugrenue que Pascal passe depuis trois siècles pour l'écrivain fragmentaire par excellence, et le fragment pour l'expression naturelle de son " effrayant génie ". Nietzsche n'écrivait-il pas en 1885: " Les livres les plus profonds et les plus inépuisables participeront toujours du caractère aphoristique et soudain des Pensées de Pascal "oe Et Lucien Goldmann, en 1955, n'énonçait-il pas cette règle littéraire: " Il n'y a, pour une oeuvre tragique, qu'une seule forme d'ordre valable, celui du fragment, qui est recherche d'ordre, mais recherche qui n'a pas réussi et ne peut pas réussir à l'approcher "oe En réalité, parler ainsi est tout simplement commettre un anachronisme. Issu du romantisme allemand, le concept de fragment est dépourvu de signification au XVIIe siècle, auquel Pascal ne fait à cet égard aucune exception: comme tous les apologistes de son temps, il écrivait des discours continus et le plus souvent d'assez longue haleine (chacun connaît les deux exemples fameux du " Pari " et des " Deux infinis ") que l'on trouvera ici restitués _ recollés _ pour la première fois sous leur figure originelle et publiés dans l'ordre chronologique probable de leur rédaction. Bien loin de composer une rhapsodie, Pascal cherchait et trouvait un " ordre des raisons ", même si sa conception de la raison et de l'ordre n'est plus tout à fait celle de Descartes, mais les fonde l'une et l'autre sur une " logique du coeur " (Heidegger).
Cependant, à la mort de Pascal, n'a-t-on pas découvert ses manuscrits dans le plus grand désordre et morcelés en bouts de papier de toutes taillesoe Certes, mais l'on sait parfaitement pourquoi ils se présentaient ainsi: c'est que Pascal avait formellement désavoué, vers 1660, ses discours primitifs à cause de leur trop grande disparate, et qu'il les avait lui-même découpés avec l'intention, ou plutôt l'espoir, de rédiger, sur cette base, un livre nouveau et unitaire, une " Apologie de la religion chrétienne ". Il n'empêche que, s'il est évidemment loisible de spéculer sur le " plan " qu'eût suivi ce livre jamais écrit et sans doute impossible à écrire, seul le retour vers l'amont de la création pascalienne, c'est-à-dire le remembrement des " fragments " où elle s'est accidentellement dispersée, peut en livrer le sens authentique. Ce retour au discours pascalien en son jaillissement premier, en sa simplicité et sa monumentalité, c'est à lui qu'invite cette édition, véritable édition originale de ce qu'on appelle depuis 1670 les Pensées.
Emmanuel Martineau, né à Bordeaux le 16 septembre 1946, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie, chercheur au CNRS de 1974 à 1988, a publié, outre des recherches phénoménologiques personnelles, la première traduction française intégrale de Etre et Temps de Martin Heidegger (1985, hors commerce) et la première édition d'un traité métaphysique capital du XIIe siècle, L'unité de Dieu et la pluralité des créatures d'Achard de Saint-Victor (1987, Ed. du Franc-Dire).
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