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D'abord il y a la mer, les pêcheurs qui « butinent au-delà du lagon », les cases en torchis, l'arbre dont la droiture défie les siècles. Il y a la nuit et ses parfums de sève chaude, le frémissement des corps, cet homme qui distribue des poèmes aux passants. Il y a la mère que le poète chante en deux langues, le kibushi et le français, « jusqu'à [se] perdre dans le royaume d'enfance ». Il y a le quignon de pain de l'homme qui a faim, ce tirailleur de la Seconde Guerre mondiale que l'on enrôle chaque 14 juillet pour des exhibitions mémorielles. Il y a cette grand-mère chant d'amour, et les bras d'un grand-père auxquels s'accrochent les radeaux perdus. Avec Nassuf Djailani, Mayotte n'est pas une terre à genoux. Elle danse, elle danse, comme les soufis dansent daïra. Au coeur du monde, tels les arbres dans le vent.
Dès les premières pages, Nassuf Djailani, écrivain originaire de Mayotte, nous ouvre la porte de son pays mais ce n’est pas une carte postale qu’il nous donne à voir. Il faut oublier « la baie émeraude, saphir, cristalline » car c’est d’une autre réalité dont il est question, un quotidien où l’on sent sourdre une certaine violence. Ici, on lutte pour sa survie face aux bouleversements de l’île.
« dos à la case en torchis les engins fouillent la terre
le manguier un boa à la renverse
elle n’en fera plus des tas
son seul revenu quand la rizière s’assèche. »
Car, au-delà du labeur, il y a la vie donnée par la femme qui a toute sa place dans les vers du poète. Même s’il annonce la mer dans le titre, mer qui baigne les rivages de l’île, il évoque aussi la mère, celle qui donne la vie et apaise les souffrances.
« Les femmes portent
en plus de la vie
le fût remonté du puits. »
Daïra, ce mot étrange qu’on trouve dans le titre questionne. Les daïras ou dahiras sont des prières chantées qui se terminent par des danses ou l’on se tient par la main. Ces litanies chantées et dansées peuvent durer toute la nuit. Les femmes le pratiquent assises, genoux contre genoux. C’est un chant prière qui essaime de village en village, où le groupe revêt toute son importance.
Sous une forme plus prosaïque, c’est ce chant prière que reprend le poète pour raconter son île et ses habitants. On est vite happé par le rythme du chant, de la danse et de ces corps qui s’agitent et se touchent.
« A mesure que les hanches se tortillent
Les pieds semblent s’enfoncer
Dans le sol qi s’empoussière
Les jambes se frôlent
Les mots délirent
Les corps suent. »
On ne dira jamais assez la puissance évocatrice des mots et le poète évoque « ces mots anodins qui n’ont l’air de rien » mais qui pourtant creusent leur sillon, ils sont un partage contre l’oubli
« le chant s’oppose à l’effacement de la trace »
Les poèmes du poète Comorien, courts, longs où le kibushi, sa langue maternelle, alterne avec le français, nous invitent à nous perdre dans le quotidien de sa vie et il semble que ces vers sont écrits pour être dits à voix haute, peut-être scandés comme une prière.
Le recueil se clôt sur l’oraison d’un tirailleur et sur des élégies pour deux femmes.
C’est beau, sobre et émouvant comme ces derniers mots qu’Habiba Ali adresse à l’enfant.
« A l’enfant
tu dis
que ta peine
n’est que poussière
dans l’œil. »
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